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pas revenir de sitôt aux sereines investigations de la science pure, qui devaient par conséquent, vrais professeurs honoraires, posséder le titre sans remplir la fonction, sans avoir même la ressource de se faire suppléer ; car ces chaires nouvelles n’étaient point rémunérées.

Un autre moyen avait été prévu pour établir un lien entre ces différentes parcelles des « sciences d’État » : c’était d’annexer au Collège de France, dont l’antique caractère d’institut de haute culture désintéressée se trouvait par là compromis, une École d’administration, création dont l’Allemagne offrait le modèle et à laquelle avaient songé Napoléon Ier et Cuvier. Le but, en ce faisant, était de couper court au favoritisme, d’empêcher l’envahissement de la carrière diplomatique et des bureaux ministériels par des jeunes gens plus riches de belles relations que de savoir et d’intelligence. Et méritoire était la pensée, à condition que cette pépinière de fonctionnaires administratifs ne dégénérât pas en un mandarinat exclusif fermant les avenues des services publics à ceux qui auraient pu débuter plus tard et révéler hors des cadres réglementaires leurs talents d’organisateurs. Il était bien dit que cette École ne fournirait qu’une partie des candidats aux fonctions vacantes et qu’elle laisserait la porte ouverte aux mérites exceptionnels ; qu’elle donnerait une instruction théorique et pratique qui serait suivie d’un stage. Mais il était dit aussi qu’elle devrait se modeler sur l’École Polytechnique et elle n’échappait pas dès lors à l’objection qu’on peut adresser à toute école spéciale, c’est-à-dire au risque de créer une espèce de privilège pour ceux qui en sortent et de développer avec excès parmi eux l’esprit de corps.

Cependant Carnot était sincèrement libéral, et, quoique ami des concours et classements, il n’en avait pas la superstition ; il ne les croyait pas suffisants pour drainer toutes les capacités de la France. Preuve en soit la proposition qu’il fit d’établir un Athénée libre, où pourraient professer tous ceux qui se sentiraient l’envie et la force de conquérir le succès par devant le grand public et de se désigner ainsi à l’attention des autorités universitaires. En même temps il ordonnait des représentations théâtrales gratuites, réorganisait les musées, ouvrait des concours destinés à faire éclore des chants républicains et un beau symbole plastique de la jeune République ; et, bien qu’il ne réussît qu’à faire ressortir l’impuissance des artistes à se transformer subitement pour parler à l’âme du peuple et à traduire sous une forme précise des aspirations vagues, c’était un essai pour réconcilier avec la démocratie les beaux-arts, qui, depuis la Renaissance, avaient pris et gardé presque sans interruption un caractère aristocratique.

En vrai Saint-Simonien qu’il était, il n’oubliait pas cette moitié de l’humanité à qui l’État ménageait si parcimonieusement ses faveurs ; il ne voyait pas pourquoi la femme serait éternellement traitée en mineure, et il confiait à Legouvé un cours au Collège de France qui devait rouler sur les moyens de relever la condition féminine. Ce qui valait mieux, il avait songé