Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ces carrières. Aussi le nombre de ceux qui obtenaient ce grade a-t-il été croissant jusqu’en 1846.

Cet enseignement, qui menait aux emplois d’État, était cependant menacé par des attaques qui venaient de deux côtés différents. Les industriels, les commerçants, les économistes lui reprochaient de ne faire que des fonctionnaires ou des rêveurs, des budgétivores ou des révoltés. Ils se plaignaient de cet éternel ressassement de l’antiquité grecque ou latine, alors qu’il y avait tant de choses nouvelles et plus utiles à apprendre. Ils demandaient qu’on grossît dans les programmes la part des sciences et des langues vivantes. On avait déjà créé des Écoles d’Arts et Métiers à Châlons-sur-Marne et à Angers. En même temps les catholiques accusaient cet enseignement d’impiété, de paganisme, de donner l’instruction sans l’éducation. C’est sur ce terrain de l’enseignement secondaire que la bataille fut la plus vive entre l’Église et l’Université. On ne soupçonnait pas, sous Louis-Philippe, que le peuple fût près de compter en politique ; on s’inquiétait davantage de la classe qui était la grande puissance sociale du moment. C’est pourquoi l’Église porta son effort le plus soutenu contre ou sur les établissements dans lesquels on élevait les fils de la bourgeoisie. Elle s’indignait de l’obligation infligée à ses élèves d’apporter — avant de se présenter aux examens — un certificat d’études témoignant qu’ils avaient étudié la rhétorique et la philosophie deux ans au moins, soit dans un établissement dépendant de l’Université soit dans la maison paternelle. Elle s’en vengeait en dénonçant les professeurs de philosophie, suspects de panthéisme ou d’athéisme, les professeurs d’histoire, coupables de sévérité envers les papes et le clergé d’autrefois. Elle avait obtenu à moitié gain de cause. Une partie de la bourgeoisie croyait utile de complaire à l’Église, prêcheuse de doctrines rassurantes pour la propriété, et le gouvernement ne lui avait pas ménagé les concessions. Cousin, ministre, imposait à ses professeurs de philosophie une sorte de catéchisme laïque ; il était plein de déférence pour les évêques, écoutait ou sollicitait leurs avis pour le placement ou l’avancement de ses maîtres. Les évêques, ayant un jour menacé de retirer des collèges les aumôniers, le roi avait eu peur qu’il n’y eût plus de contrepoids aux prédications socialistes. Les Jésuites venaient, il est vrai, d’être invités une fois de plus il disparaître de France ; mais c’était une fausse sortie, qui masquait le mouvement tournant en train de s’exécuter dans les couches les plus hautes de la bourgeoisie française.

L’enseignement supérieur, lui, était dominé par une idée tout à fait conforme à l’esprit du temps ; c’est qu’il devait avoir une tendance utilitaire. Au lieu de restreindre le nombre des centres de haute culture désintéressée, qui auraient pu être pour toute une région, des foyers de lumière et de vie, on avait multiplié, pour donner satisfaction à des ambitions de clocher, de petites Facultés, isolées, mal outillées, mal logées, mal pourvues et devenues