Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de collaborer à l’œuvre de l’État, à condition d’avoir la haute main dans ses collèges, de surveiller et de tenir en bride ses professeurs.

En réalité, lorsqu’éclata la Révolution de 1848, l’Église et l’Université avaient chacune leur part dans l’enseignement. L’école primaire publique n’était ni laïque, ni gratuite, ni obligatoire. La bourgeoisie avait poussé mollement l’instruction populaire. Elle trouvait que c’était une gêne pour l’industrie accoutumée à employer les enfants très jeunes, un danger aussi pour sa propre domination, parce que c’était éveiller dans les cœurs l’ambition du mieux-être, risquer de faire des raisonneurs et des déclassés. Sans doute, en 1847, il n’y avait plus que 2,000 communes sans école et le nombre des élèves s’élevait, d’après les chiffres officiels, à 3.530,135. Mais il faut se défier des mirages de la statistique. Dans les villages la mauvaise saison était la saison d’apprendre ; l’école se remplissait ; au temps des longs jours la fenaison, la moisson, les vendanges réclamaient de petits travailleurs supplémentaires ; l’école se vidait. En tout temps, les garçons formaient la majorité ; l’on en comptait 21 contre 13 filles. L’instruction s’arrêtait à l’âge de la première communion, 12 ans pour les uns et 11 pour les autres. Du reste les Frères de la Doctrine chrétienne et des Sœurs d’ordres variés avaient une large place dans les campagnes et dans les faubourgs. Les écoles congréganistes attiraient habilement par une gratuité presque complète ; et puis il était convenu, par une sorte d’accord tacite, que la direction des esprits féminins revenait à l’Église. Des 19.414 écoles de filles qui existaient en France, presque toutes étaient religieuses.

Les résultats obtenus peuvent se mesurer par le nombre de gens qui savaient lire et écrire. Il variait suivant le sexe, l’âge, la résidence, la région. Les femmes étaient partout moins instruites que les hommes, dans le midi en particulier. La proportion de celles qui avaient des connaissances rudimentaires y descendait à 10 et à 9 0/0. Dans le canton de Carcassonne une Enquête qui date de 1848 dit brutalement : « Les femmes ici ne savent pas tenir une plume ». Comme il est naturel, les enfants étaient moins ignorants que les adultes. Parmi les premiers, le nombre de ceux qui savaient lire et écrire montait souvent à 80 0/0 ; il ne descendait guère au-dessous de 75 0/0. Parmi les jeunes gens de vingt ans, la proportion était beaucoup plus basse, soit qu’ils eussent oublié le peu qu’ils avaient appris, soit qu’ils appartinssent à une génération qui n’avait pas trouvé à sa portée les mêmes facilités de s’instruire. Les conscrits — de 1846 à 1850 — arrivent à une moyenne de 64 0/0. Il va de soi que pour les gens plus âgés ce chiffre baissait encore. Les villes — on pouvait s’y attendre — passaient bien avant les campagnes ; les travailleurs industriels, avant les travailleurs de l’agriculture. Les ouvriers de Paris atteignent une moyenne de 87 0/0, et l’industrie qui présente les chiffres les plus faibles, celle des fils et tissus, y parvient encore à 79 0/0. Dans le reste de la France, la proportion va de 90 0/0 à 20 0/0 pour les