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intervention de la flotte anglo-française pour empêcher l’Autriche et la Russie de violenter le gouvernement turc qui refusait de leur livrer les réfugiés entrés sur son territoire. En Italie, les libéraux de Naples étaient persécutés, emprisonnés ; les victimes des représailles du roi Bomba se chiffraient par dizaines de milliers. Dans tout le nord de la Péninsule sonnaient les pas de patrouilles autrichiennes ; c’étaient l’état de siège, le régime militaire, les patriotes arrêtés et fouettés. Manin, le héros de Venise, Guerrazzi, le président de la République toscane, Mazzini, le triumvir de Rome, s’en allaient rejoindre en exil les bannis de la République française, les épaves de la Révolution allemande et Kossuth, le défenseur de la Hongrie. À Parme fonctionnaires, professeurs, commerçants, jurisconsultes étaient obligés de se raser et de porter les cheveux courts. Un projet d’une nouvelle Sainte-Alliance des rois s’ébauchait : et partout, en Autriche, en Toscane, à Modène, à Naples, l’Église recouvrait en les accroissant ses privilèges perdus et détruisait les précautions prises ou les réformes opérées contre elle. Un seul pays italien faisait exception : le royaume de Sardaigne, qui gardait une constitution, se barricadait de lois anticléricales et devenait par là même l’asile des espérances et des libertés proscrites.

Pour en revenir à la France, l’expédition de Rome y faisait une première victime : c’était le ministère qui l’avait organisée. Odilon Barrot avait tenté de louvoyer entre les deux puissances en conflit, le Président et l’Assemblée ; suspect à l’une comme à l’autre, accusé par les ultra de la réaction de ménager le parti républicain, par le prince de se mettre en travers de ses idées, il était condamné, et, le 28 octobre 1849, renvoyé, sans autre forme de procès, par le Président. « Il faut absolument que je domine tous les partis », écrivait-il à Odilon Barrot, et le lendemain il lançait un message à l’Assemblée qui était un véritable manifeste du pouvoir personnel. Il y déclarait qu’il fallait au ministère des hommes comprenant la nécessité d’une direction unique et ferme ; que la France, au milieu de la confusion des partis, cherchait « la main, la volonté de l’élu du 10 Décembre » ; que le nom de Napoléon était à lui seul un programme ; qu’il signifiait à l’intérieur ordre, autorité, religion, bien-être du peuple, à l’extérieur dignité nationale. Je veux, disait à plusieurs reprises le signataire, et pour mieux affirmer sa volonté souveraine, il choisissait pour ministres des hommes de second plan, presque des inconnus, le général d’Hautpoul, Ferdinand Barrot, frère ingrat d’Odilon ; on y voyait apparaître des hommes nouveaux, mais dévoués au Président : deux avocats d’Auvergne, Rouher et de Parieu, un banquier aussi, Achille Fould, qui indiquait le ralliement de la finance à ce qu’on appelait dès lors le parti de l’Élysée. Dans un des nombreux voyages qu’il faisait en France, le Président, jouant son rôle d’ami des travailleurs, avait décoré plusieurs hommes en blouse : — Eh ! eh ! cela vous regarde, disait-on à Rothschild. — Bah ! répliquait-il, je sais bien par où je le repêcherai. — Et, en effet, les dettes et les