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C’est à ce moment que le Président de la République crut devoir adresser à son cousin, Edgar Ney, lieutenant-colonel dans l’armée d’occupation, une lettre qui commençait par dire : « La République Française n’a pas envoyé une armée à Rome pour y étouffer la liberté italienne » — et qui contenait tout un programme : « Je résume ainsi, écrivait le prince, le rétablissement du pouvoir temporel du Pape : Amnistie générale, sécularisation de l’administration, Code Napoléon et gouvernement libéral. » Il ajoutait : « Toute insulte faite à notre drapeau ou à notre uniforme me va droit au cœur et je vous prie de bien faire savoir que, si la France ne vend pas ses services, elle exige au moins qu’on lui sache gré de ses sacrifices et de son abnégation. » La lettre n’avait pas été délibérée en Conseil des ministres ; c’était une explosion de cette politique personnelle que Louis Bonaparte entendait pratiquer. Plusieurs mois auparavant, il avait écrit à Odilon Barrot une lettre qui en disait long à ce sujet : « Il faut choisir des hommes dévoues à ma personne même, depuis les préfets jusqu’aux commissaires de police… ; il faut… réveiller partout, non le souvenir de l’Empire, mais de l’Empereur ; car c’est le seul sentiment au moyen duquel on peut lutter contre les idées subversives. » Conséquent avec lui-même et, au fond, moins réactionnaire que la majorité de l’Assemblée, il mettait le holà aux prétentions excessives des catholiques. Le prince commençait ainsi le double jeu qui devait lui réussir si bien : laisser garrotter la nation par l’Assemblée qui détruisait une à une toutes les libertés ; puis, par accès, protester contre ces mesures dont il recueillait le bénéfice et dont il rejetait l’odieux sur les représentants.

Les catholiques essayèrent de l’entraîner. Falloux crut devoir offrir sa démission de ministre, en alléguant qu’il ne pouvait s’associer à une pression exercée sur le Saint-Père. On ne retint pas Falloux. Montalembert avait écrit : « A Rome, la nature même du pouvoir exclut toute idée du partage de la souveraineté en quoi que ce soit. » Il fut presque menaçant ; il avertit le prince-président du danger qu’il y avait à tourner contre lui les prêtres et leurs fidèles. « Votre oncle qui était plus puissant que vous…, disait-il, y a succombé. » Mais le Président ne voulait pas plus céder que le pape, qui riposta, le 12 septembre 1849, par une nouvelle lettre à ses sujets connue sous le nom de Motu proprio. Là il indiquait les réformes qu’il voulait bien octroyer et dont voici les principales : création de Conseils municipaux nommés d’après le système censitaire ; de Conseils provinciaux dont les membres seraient choisis par le pape ; d’un Conseil d’État qui préparerait les lois ; d’une Consulte qui, sans avoir voix délibérative, donnerait son avis sur les impôts et dont les membres seraient choisis par le pape sur des listes que présenteraient les Conseils provinciaux ; bref quelques libertés locales avec une parodie de régime parlementaire, puisque le souverain devait nommer lui-même des hommes n’ayant pas même le pouvoir de contrôler ses dépenses et ses actes. À cela s’ajoutait une Commission de réforme judiciaire, ce qui