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déléguait aux armées. Mais les républicains modérés s’effraient de ces résolutions radicales et Senard, leur porte-parole, fait voter cet ordre du jour : « L’Assemblée nationale invite le gouvernement à prendre sans délai les mesures nécessaires pour que l’expédition d’Italie ne soit pas plus longtemps détournée du but qui lui était assignée. » C’était un blâme au ministère, pour avoir employé contre la République romaine des forces destinées à combattre l’Autriche. Mais c’était en même temps une invitation au ministère de réparer lui-même la faute qu’il avait volontairement commise. Il en profite pour ne pas se retirer. L’Assemblée mourante n’inspire plus de respect. Le Président, sans se soucier d’elle et de la Constitution, adresse au général Oudinot une lettre, où, de sa propre autorité, il lui annonce de nombreux renforts capables de sauver « l’honneur militaire engagé ». Changarnier la met à l’ordre du jour de l’armée « pour fortifier son attachement au chef de l’État ».0n pouvait reconnaitre là le jeu des Césars en voie de formation : capter la bienveillance des officiers et soldats et surexciter l’amour-propre national. Le sens de ces paroles était aggravé par une revue où les cris de : Vive la République ! étaient, avec la connivence des chefs, remplacés par ceux de : Vive Napoléon ! Saisie de ces faits, la majorité de l’Assemblée passait quand même à l’ordre du jour. L’extrème gauche déposait alors une demande de mise en accusation du Président et de ses ministres. Mais il va de soi qu’elle était repoussée.

Cependant le ministère, tant que la Constituante n’avait pas disparu, pour avoir l’air de faire quelque chose. pour amuser le tapis, comme l’on dit, dépêchait à Rome un envoyé spécial, Ferdinand de Lesseps, avec des instructions si vagues et si compliquées qu’elles équivalaient à un ordre déguisé de tout traîner en longueur. Mais de Lesseps, trop actif pour se borner à du bavardage diplomatique, désireux d’éviter le siège de Rome et un inutile sacrifice de sang français, peut-être encouragé sous main par des chefs du parti républicain, négocia, charma, faillit opérer une réconciliation entre les deux Républiques sœurs jetées l’une contre l’autre par les catholiques. Trop de zèle ! eût dit Talleyrand — Le général Oudinot et le général Vaillant, qu’on lui avait adjoint pour l’aider et, au besoin, pour le remplacer en cas qu’Oudinot montrât trop de sympathie aux Romains, voulaient aller de l’avant, venger l’affront essuyé par leurs troupes. Le ministère avait, comme Falloux le confessait quelques semaines plus tard, « un but catholique ». Et de Lesseps, au moment où il croyait avoir réussi, était tout à coup rappelé. C’était le 29 mai, lendemain du jour où la Constituante avait cédé la place à son héritière. On pouvait jeter le masque : les catholiques étaient sortis vainqueurs du scrutin. L’ordre de marcher sur Rome était donné, et le tour était joué. La France républicaine devenait la restauratrice et la gardienne du pouvoir temporel de la papauté.

Cette œuvre de réaction était complétée par la résolution votée au moment où l’on apprenait que la Russie intervenait pour écraser la révolution