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côté. Mais que, par une métamorphose miraculeuse, il soit sorti de là une expédition pour restaurer le pouvoir temporel du pape, c’est vraiment le chef-d’œuvre de la politique catholique. Et pour le comprendre, il faut bien se représenter que le sanctuaire de la diplomatie est le dernier à laisser pénétrer la lumière et le contrôle de la démocratie, et que le peuple est, en France surtout, aisément fanatisé parla « religion du drapeau ».

On commença par engager le drapeau. Odilon Barrot, le 16 Avril, demandait d’urgence un crédit de 1.200.000 francs pour l’entretien sur pied de guerre durant trois mois du corps expéditionnaire de la Méditerranée. Il s’agissait, disait-il, d’assurer la liberté vraie des Romains contre une intervention possible de l’Autriche. Jamais plus qu’en ce temps-là on ne se servit du manteau de la liberté pour couvrir des asservissements. Jules Favre, rapporteur de la Commission, spécifiait que, d’après les déclarations d’Odilon Barrot et du ministre des affaires étrangères, Drouyn de Lhuys, « la pensée du gouvernement n’était point de concourir au renversement de la République romaine. » Il fallait, en effet, pour gagner les républicains modérés, colorer d’un prétexte libéral l’expédition qu’on méditait, masquer le détournement habile qui se préparait, Odilon Barrot fut à dessein vague et équivoque. Il ne nia pas qu’on allait à Rome pour empêcher l’Autriche d’y entrer la première. Mais quand Schœlcher lui demanda une réponse nette à cette question : Si la République romaine refuse d’accueillir le pape ou les troupes françaises, que feront ces troupes. — il n’obtint qu’un silence embarrassé qui valait un aveu. N’importe ! La demande de crédit était votée, malgré l’abstention en masse de la Montagne, et, dès le 22, le général Oudinot avec 7.500 hommes s’embarquait pour Cività-Vecchia. Simple promenade militaire, semblait-il ! Il n’emportait pas de matériel de siège. Ses proclamations ambiguës laissaient douter s’il venait comme protecteur ou comme destructeur de la République romaine. Des triumvirs qui la gouvernaient, Armellini, Saffi, Mazzini, le premier se prononça pour l’entente, les deux autres pour la résistance ; et quand le général, après avoir rencontré sur son chemin des écriteaux où se lisait l’article V de la Constitution française : — La République « n’emploie jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple », — arriva devant les murs de la ville, persuadé que « des Italiens ne se battent jamais », trompé par de faux rapports sur les dispositions des habitants, égaré par une carte surannée, il fit tuer ou prendre une partie de ses troupes et dut reculer sur Cività-Vecchia.,

Pour qui connaît la nervosité française et surtout parisienne, il est aisé de deviner l’effet que produisit la nouvelle de l’attaque et de l’échec. Dès que le Moniteur eut avoué l’une et l’autre en termes laconiques, le 7 Mai, J. Favre monte à la tribune, signale l’écart énorme qui sépare les déclarations et les actes du ministère. — Nous avons été joués, — s’écrie-t-il, et il réclame la démission des ministres, la destitution du général, l’envoi en Italie de commissaires pris dans l’Assemblée et pareils à ceux que la Convention