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tout prix une intervention en sa faveur. Mais il fallait procéder avec prudence.

Les démocrates et beaucoup de républicains modérés n’admettaient pas qu’on fit cette violence à la volonté d’un peuple et, la Constituante romaine ayant proclamé le 9 février 1849 la déchéance du pape-roi et la République, les Montagnards lui avaient envoyé leurs félicitations. Le Président lui-même avait de vieilles sympathies pour la cause de l’émancipation italienne en faveur de laquelle il avait jadis combattu et il rêvait, comme Gioberti, un pape libéral dans l’Italie affranchie. Le ministère Odilon Barrot se contenta d’abord de ne pas reconnaître la République romaine, sous prétexte qu’elle avait été précédée par l’assassinat de Rossi ; de laisser l’ambassadeur français suivre le pape à Gaëte qui devint un petit Coblentz, la capitale de la réaction, tandis que, par un constraste naturel, Rome et l’Italie centrale, où la République toscane avec Guerrazzi faisait écho à la République romaine, devenaient le rendez-vous des révolutionnaires de tout pays, parmi lesquels on pouvait citer un Bonaparte, des démocrates français comme Laviron et bientôt Garibaldi. Faute de mieux il essayait de faire régler le différend entre le pape et ses sujets par un arbitrage armé purement italien, dont le Piémont et Naples auraient été chargés.

Sur ces entrefaites la guerre reprenait entre l’Autriche et le roi de Sardaigne. Terminée en trois jours par l’écrasement de Charles Albert à Novare (le 24 Mars) et par son abdication, elle pouvait établir aux portes de la France l’Autriche, qui parlait étourdiment de ramener l’Europe « aux principes de saine politique que le Congrès de Vienne » avait fait triompher en 1815. Louis-Napoléon voulait une déclaration de guerre immédiate à cette puissance. Il se rapprochait sur ce point des démocrates français. Ceux-ci, Ledru-Rollin le premier, voulaient qu’on n’abandonnât pas le Piémont vaincu en qui se réfugiait l’espoir de la future délivrance italienne. Ils proposaient, par la bouche de Flocon, que la Chambre s’en référât à son vote du 24 mai 1848 : « La France veut l’affranchissement de l’Italie. » C’était la guerre révolutionnaire, la guerre pour un peuple opprimé. Le parti de l’ordre n’en voulait à aucun prix ; il la redoutait, parce qu’elle pouvait amener le triomphe de la révolution en Italie et par contre-coup réveiller les énergies révolutionnaires en France. Il fit agir Thiers auprès du prince-président. A l’Assemblée, il se tira d’embarras par une motion transactionnelle qui était simplement comminatoire : « L’Assemblée nationale déclare que si, pour mieux garantir l’intégrité du territoire piémontais et mieux sauvegarder les intérêts et l’honneur de la France, le pouvoir exécutif croit devoir prêter à ses négociations l’appui d’une occupation partielle et temporaire en Italie, il trouvera dans l’Assemblée nationale le plus entier concours. »

C’était une sorte de blanc-seing accordé au gouvernement pour défendre le Piémont contre l’Autriche, qui d’ailleurs s’arrêtait immédiatement de ce