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Les catholiques, dont j’ai montré l’action prépondérante dans la campagne de contre-révolution entamée, sont naturellement aussi les meneurs de révolution symétrique qui s’opère au dehors, et c’est pourquoi les affaires d’Italie et surtout de Rome passent rapidement au premier plan.

La fermentation italienne a commencé avant février : c’est un enchevêtrement de tendances qui se contrarient les unes les autres. Avant tout, désir d’indépendance, volonté de chasser les « barbares », qui sont, en l’espèce, les Autrichiens. Puis désir d’unité, velléité grandissante de former un seul groupe de toutes les populations parlant les dialectes de la langue de si. Mais ici déjà divergences graves : l’Italie nouvelle sera-t-elle une fédération de petits États autonomes ou un grand État centralisé ? Sera-ce une république ou une monarchie ? Puis encore, dans chacune des dominations existantes, le pouvoir du prince restera-t-il absolu, deviendra-t-il constitutionnel, sera-t-il remplacé par la souveraineté populaire ? La constitution économique sera-t-elle modifiée ? Les réformes réclamées dans certaines villes, comme Milan et Livourne, pourront-elles s’opérer, alors que les campagnes croupissent dans une profonde ignorance ? Enfin quelle place aura dans le changement qui se prépare le pape, qui est revêtu d’un double caractère, souverain temporel et italien en même temps que souverain spirituel et régnant à ce titre sur le monde catholique ? Que de sources de complications et de conflits, sans compter les jalousies des régions, des princes et des villes !

La République française, à ses débuts, avait vigoureusement appuyé le mouvement qui emportait l’Italie vers l’indépendance et la liberté[1]. C’était le vœu du parti avancé ; c’était aussi, nous l’avons vu, l’idée de Lamartine, et, malgré le refus hautain auquel il s’était heurté, c’était encore l’avis unanime de l’Assemblée qui, dans un ordre du jour du 24 mai, imposait cette triple règle de conduite au gouvernement : — Pacte fraternel avec l’Allemagne. Reconstitution de la Pologne indépendante et libre. Affranchissement de l’Italie. — Mais les Italiens réduits à leurs seules forces avaient été battus ; le pape. pontife catholique avant d’être patriote, avait décliné toute pensée belliqueuse contre l’Autriche, fille docile de l’Église. Naples, qui avait devancé le reste de la péninsule dans sa révolte contre l’absolutisme, avait, dès le 15 mai, sous les yeux de la flotte française inactive, élevé des barricades qui ne l’avaient pas empêchée de retomber sous le joug et son roi avait aussitôt abandonné la cause de l’émancipation nationale. Assagi par ses revers, le roi de Sardaigne, Charles-Albert avait réclamé, dès le 3 août, cette intervention française qu’il avait repoussée et que Milan et Venise, d’esprit républicain, avaient réclamée avant lui. Mais en France, après Juin, la réaction contre les théories humanitaires était vive. Bastide, le nouveau ministre des affaires étrangères, songeait plus à l’intérêt de la France qu’à la fraternité

  1. Voir page 19.