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auraient volontiers battu ceux qui ne voulaient pas voter pour Bonaparte ; aujourd’hui, (Mai 1849) ils se battraient pour le chasser. »

Le Gouvernement crut nécessaire de jeter dans la balance tout le poids de sa puissance. Il dissout des Conseils municipaux, des gardes nationales ; il ordonne des poursuites contre Proudhon, qui, remontant des ministres au chef responsable, attaque à découvert le prince-président ; il réintègre le professeur Lerminier, détesté des étudiants, et les anciens préfets de Louis-Philippe. Merveilleusement servi par sa magistrature, il frappe une association parfaitement légale, qui, sous le nom de Solidarité républicaine, essayait au grand jour d’établir des liens entre les Comités et groupes politiques de la gauche avancée, à Paris et en province ; l’inculpant, tantôt d’être une société secrète, tantôt de tramer des complots, il fait arrêter vingt-sept de ses membres, alors qu’il laisse vivre et agir sans entraves une Société des Amis de la Constitution, qui existe au même titre, les Comités catholiques, voire même quantité de cercles légitimistes ou napoléoniens qui avouent p0ur but le renversement de la République. Il suspend, sur une plainte de l’archevêque de Paris un cours populaire où le professeur Léon Pilate, au nom de l’Évangile, réclame une Église nouvelle pour des temps nouveaux ; on l’accuse d’avoir ouvert un club religieux sans autorisation. Il fait surveiller un cours du professeur Dameth sur les sciences sociales, car il ne faut pas qu’une chaire de socialisme puisse se fonder à petit bruit. Les boulangeries sociétaires et autres sociétés pour la vie à bon marché sont interdites, soit parce qu’elles gênent des monopoles, soit parce qu’on les soupçonne d’être des foyers d’agitation politique. Il dépose un projet qui interdit les clubs, en dépit de l’article de la Constitution qui garantit le droit de réunion. Il déclare à cette occasion que la tribune de l’Assemblée doit demeurer la seule du pays. Le ministère est mis en minorité sur la question d’urgence. Mais Odilon Barrot, libéral repenti qui combat contre la liberté, parlementaire imprudent qui brise les prérogatives du Parlement, refuse de se retirer, s’abrite derrière la volonté du Président, obtient par un vote de surprise l’adoption du premier article qui formule l’interdiction et se félicite de cette nouvelle et grosse victoire du parti de l’ordre. Le gouvernement fait encore juger les accusés du 15 Mai par la Haute-Cour réunie à Bourges, donnant ainsi un effet rétroactif à la loi qui a institué ce tribunal d’exception longtemps après l’acte poursuivi. Il fait exécuter les meurtriers du général Bréa, en dépit de la Constitution qui a supprimé l’échafaud pour crime politique ; il en est quitte, excuse commode et fréquente en pareil cas, pour qualifier de crime de droit commun ce que les vaincus ont commis dans l’exaspération de la guerre civile.

Le ministre de l’intérieur est alors Léon Faucher, un être bilieux, « antipathique à la grande généralité des représentants de tous les partis », comme le définit Odilon Barrot, son collègue. On pourrait le définir aussi un fanatique