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l’égalité sociale, à coups de fusil ou de guillotine ». Après quoi on lui déclare qu’ils peuvent, lui et ses pareils, faire des parts égales de la richesse, qu’une heure après elles ne le seront plus. Puis, mettant ensemble communistes, socialistes, montagnards, républicains « qui sont tous mauvais », le père François trace du rouge ce portrait qui mériterait d’être célèbre :

«… Un rouge n’est pas un homme ; c’est un rouge ; il ne raisonne pas, il ne pense plus. Il n’a plus ni le sens du vrai, ni le sens du juste, ni celui du beau et du bien. Ça n’est pas un être moral, intelligent et libre comme vous et moi. Sans dignité, sans moralité, sans intelligence, il fait sacrifice de sa liberté, de ses instincts et de ses idées au triomphe des passions les plus brutales et les plus grossières ; c’est un être déchu et dégénéré. Il porte bien, du reste, sur sa figure, le signe de cette déchéance. Une physionomie abattue, abrutie, sans expression ; des yeux ternes, mobiles, n’osant jamais regarder en face et fuyant comme ceux du cochon ; les traits grossiers, sans harmonie entre eux ; le front bas, froid, comprimé et déprimé ; la bouche muette et insignifiante comme celle de l’âne ; les lèvres fortes, proéminentes, indice de passions basses ; le nez sans finesse, sans mobilité, gros, large et fortement attaché au visage ; voilà les caractères généraux de ressemblance que vous trouverez chez la plupart des partageux. Ils portent gravée sur toute leur figure la stupidité des doctrines et des idées avec lesquelles ils vivent… »

Ces choses-là n’ont pas besoin d’être commentées. A peine est-il nécessaire de faire remarquer que le pamphlet est d’inspiration cléricale en même temps que bourgeoise.

Une autre brochure est intitulée : La Vérité aux Ouvriers, aux Paysans, aux Soldats. Elle a pour auteur un Théodore Muret, fils de commerçant, qui était vaudevilliste de métier, légitimiste d’opinion, et qui a laissé plusieurs volumes d’histoire anecdotique. Il ne fut pas très fier plus tard de cet opuscule ; car, sans le désavouer, il se blâme de l’avoir écrit. Le fait est, que socialisme et communisme y sont résumés de façon simple, à l’usage des ouvriers : « Tu es laborieux, tu travailles. Je ne fais rien et je ne veux rien faire. » Voilà tout le mystère ! Aux paysans. Th. Muret rappelle que les « rouges » les ont traités de butors et ont publié une caricature où l’on voit Louis Bonaparte menant un troupeau de dindons. Aux soldats, il parle d’instinct le langage des faiseurs de coups d’État militaires ; car il leur montre « l’uniforme soumis au despotisme de quelques avocassiers », et il transforme les rouges, amis des opprimés de tout pays, en « alliés des étrangers ». Il se met, lui aussi, sous la protection de l’Église ; sa brochure se présente illustrée d’une estampe où un bon curé de campagne enseigne la lecture à un enfant dans le jardin de son presbytère.

Autre brochure tout aussi significative. Elle a pour titre : Le Socialisme et la Religion. Elle emprunte des passages au « manifeste électoral de la liberté religieuse », et se termine par ces paroles : « Gare aux églises si les socialistes triomphent ! Gare aux clochers, si les rouges viennent ! » D’autres plus fines et plus adroites, et qui sont le plus souvent anonymes, prennent une physionomie socialiste pour mieux allécher les lecteurs populaires ; cela s’appelle : Du travail ou du pain, par un travailleur, ou Catéchisme de l’Ouvrier. Ou