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aller soutenir à l’extérieur la grandeur du pays il faut « une de ces armées qui obéissent sans discuter, sans raisonner. » C’est seulement chez les nations barbares, disait-il, que tout le monde est soldat ; chez les peuples policés la fonction militaire n’est plus que le fait d’une minorité et il est très bon que le métier des armes devienne une carrière de spécialistes. D’ailleurs la classe aisée faisait son devoir en remplissant les écoles d’où sortait l’admirable corps des officiers français. Songerait-on, par hasard, à envoyer ceux-ci manier le mousquet ? Et, comme le ministre se hâtait de désavouer pareille pensée, « C’est votre cause que je plaide, Messieurs les militaires », ajoutait Thiers, et il s’autorisait de Napoléon pour soutenir qu’il faut au moins sept ou huit ans pour inspirer à des recrues l’esprit militaire. On lui criait : « C’est avec ces armées-là qu’on tue la liberté », et l’on faisait remarquer ce qu’avait de peu rassurant l’article ainsi conçu : « La force publique est essentiellement obéissante ». Mais la majorité dont Thiers était le fidèle interprète, était résolue à ne rien changer à ce qui existait et 663 voix, parmi lesquelles celles de Montalembert, Falloux, Coquerel, Victor Hugo, Wolowski, décidèrent que l’armée continuerait à se recruter comme auparavant et resterait divisée en soldats mercenaires ou appelés par la conscription et appartenant uniquement aux classes populaires et en officiers de métier sortant à peu près uniquement de la bourgeoisie et de la noblesse.

Quand on relit aujourd’hui cette discussion à la lueur sinistre des événements qui ont suivi, on se dit que le temps est un grand justicier ; que tout s’expie un jour dans la longue vie des nations. Le coup d’État de 1851 commença par montrer à la France de quoi est capable une armée professionnelle. Les désastres de 1870 achevèrent de lui faire payer bien cher l’aveugle égoïsme de sa bourgeoisie.

Lois organiques, révision, sanction populaire. — Bien que la Constitution de 1848 contînt beaucoup de choses, qui avaient peu de titres à y figurer, on avait prévu pour la compléter un bon nombre de lois organiques. — Loi sur la responsabilité des dépositaires de l’autorité publique. Loi sur l’organisation du Conseil d’État. — Loi électorale. Ce sont les trois seules qu’elle eut la force d’aborder. Il devait y en avoir d’autres sur l’organisation départementale et communale, sur l’organisation judiciaire, sur l’enseignement, sur l’organisation de la garde nationale et de l’armée, sur la presse, sur l’état de siège, sur l’assistance publique. L’Assemblée s’était engagée solennellement à les discuter toutes. Elle refusait d’y joindre la discussion de l’éducation professionnelle, des établissements de prévoyance et de crédit, des institutions agricoles ; mais elle promettait des lois particulières pour les colonies, en attendant que celles-ci pussent être placées sous le régime du droit commun. C’était beaucoup. La vie devait lui manquer avant la besogne. Déjà plusieurs de ses membres l’avaient invitée au suicide et ils ne devaient pas cesser de répéter à leurs collègues : Frères, il faut mourir.