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empereur, comme le cria un représentant. De Parieu disait avec raison : « Il y a en France des éléments qui sont singulièrement favorables et toujours favorables au développement du pouvoir exécutif ; c’est un sol préparé pour donner de la force à l’autorité, préparé, dis-je, par la centralisation… combinée avec l’existence des armées permanentes, avec tous les autres caractères de notre organisation et de notre administration, avec ce goût si grand des fonctions publiques dont les Représentants connaissent peut-être mieux que personne toute l’étendue. » Grévy, avec plus d’énergie encore, montrait le futur Président plus puissant que Louis-Philippe, parce qu’il serait l’élu du suffrage universel ; installé par les soins des républicains dans une forteresse presque inexpugnable et tenté probablement de se perpétuer « au trône de la Présidence ». « Et si cet ambitieux, s’écriait-il, est un homme qui a su se rendre populaire ; si c’est un général victorieux, entouré de ce prestige de la gloire militaire auquel les Français ne savent pas résister ; si c’est le rejeton d’une de ces familles qui ont régné sur la France et s’il n’a jamais renoncé expressément à ce qu’il appelle ses droits ; si le commerce languit ; si le peuple souffre, s’il est dans un de ces moments de crise où la misère et la déception le livrent à ceux qui cachent sous des promesses des projets contre sa liberté,.. ; répondez-vous que cet ambitieux ne parviendra pas à renverser la République ? » Comme le disait Pyat, l’élection populaire était un sacre autrement divin que l’huile de Reims, et alors, dans son duel inévitable avec l’Assemblée, il pourrait dire aux représentants : — « Je suis plus souverain que vous tous. Je représente la France entière. Je commande au nom d’un mandat supérieur aux vôtres.

À ces deux arguments essentiels les adversaires répliquaient, en invoquant le principe de la séparation des pouvoirs ; en demandant si le pouvoir législatif ne commettrait pas une usurpation en nommant le chef du pouvoir exécutif, si tout au moins il ne paraîtrait pas se défier du pays ; en dénonçant le marchandage de portefeuilles et d’ambassades qui se produirait dans la Chambre à chaque élection présidentielle ; en raillant, et c’est peut-être ce qui frappait le plus des esprits mal défaits de leurs préjugés monarchistes, un président qui serait sans prestige, un président-soliveau, qui serait, suivant les paroles de Lamartine à ses collègues, « l’aiguille destinée à marquer l’heure de leurs volontés ou de leurs caprices sur le cadran de la Constitution. » On invoqua, dans un sens et dans l’autre, l’exemple des autres républiques, Tocqueville rappelait qu’en Amérique le président est nommé par le peuple. On lui répondait qu’il l’est par le suffrage à deux degrés ; que la liberté y est protégée par le système fédératif, par l’absence de souvenirs royalistes ; que d’ailleurs en Suisse et en Hollande le procédé contraire avait toujours été pratiqué.

Il est souvent difficile de dire quelle a été dans une bataille la manœuvre décisive. Mais il est certain que, dans celle-ci, ce ne fut pas un fait indifférent