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Quant aux attributions du chef du pouvoir exécutif, elles sont, d’après le projet qui sert de point de départ à la discussion, considérables, énormes. Les habitudes monarchiques s’y révèlent par mille traits. Droit de disposer de la force armée, sans pouvoir, il est vrai, la commander en personne ni, comme on crut prudent de rajouter, déclarer la guerre. Droit de négocier et de ratifier les traités, sauf approbation de l’Assemblée, qui se trouve alors en présence d’une situation fortement engagée. Droit, non d’amnistie, mais de grâce, ce qui lui permettra d’accorder en détail ce que l’Assemblée aura refusé en bloc. Droit de veto provisoire, puisqu’il peut pour toute loi qui lui déplait exiger de l’Assemblée une nouvelle délibération. Obligation de présenter chaque année dans un message, comme un roi constitutionnel, l’exposé général des affaires publiques. Liste civile de 600.000 francs et logement dans les palais nationaux. Surtout droit de choisir les ministres. fut-ce hors du Parlement. Droit de nommer les agents diplomatiques, les commandants des armées de terre et de mer, les préfets, le chef de la Garde nationale de la Seine, les gouverneurs des colonies, les procureurs généraux, tous les hauts fonctionnaires. Sans doute les principales nominations doivent se faire en Conseil des ministres. Mais les ministres peuvent être révoqués par le Président, et ils ne contresignent pas tous ses actes. Francisque Bouvet, dans un discours auquel il ne fut pas répondu, calcule que le Président nommera directement 362.280 employés émargeant une somme de 423 millions de francs. Si l’on y ajoute 100.000 fonctionnaires qui reçoivent de lui, sur la proposition du ministre compétent, leur brevet ou leur diplôme ; si l’on y joint encore le formidable personnel des officiers et sous-officiers, on arrive à un million d’hommes placés sous son influence. Plus encore ! On lui accorde le droit de suspendre pour trois mois les maires élus ; en un mot, comme dit Tocqueville. « tous les moyens de contrainte et de corruption. » N’est-ce pas lui qui distribue aussi les décorations, lesquelles portent cet exergue : Bonaparte, premier consul ? Quelques républicains, en particulier Clément Thomas, trouvant peu démocratique d’étaler son mérite à sa boutonnière et de laisser subsister cet instrument de règne restauré par le premier Napoléon, avaient proposé de supprimer la Légion d’honneur. Mais l’idée avait fait scandale, avait semblé une injure à la vanité nationale, et le maintien des croix et rubans, pour couper court à ces velléités égalitaires, avait été inscrit dans la Constitution. On était loin de ce que désirait Cormenin, quand, après avoir demandé la nomination du Président par le peuple, il ajoutait : « Le Président règne et ne gouverne pas. » Le Comité avait accepté la proposition dangereuse en repoussant ce qui devait atténuer le danger.

L’Assemblée ne méconnut pas l’importance vitale du problème, Audry de Puyraveau, Félix Pyat, Grévy, de Parieu, Didier firent saillir en plein relief les périls du plébiscite portant sur un homme qui serait investi d’une pareille variété d’attributions, C’était faite de lui un roi électif, plus qu’un roi, un