Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on commençât par là ; et dans le Comité, Cormenin, adorateur de Napoléon, avait renouvelé avec le même insuccès la même demande. S’il y eut divergence sur ce point, il y eut accord unanime pour décider que ce pouvoir serait concentré en une seule personne qui s’appellerait Président de la République. Créer un gouvernement fort est alors le rêve des partis les plus divers, parce que tous espèrent en faire l’instrument de leur ambition. Marrast, dans son rapport, dit du futur Président : « Sa volonté ne doit rencontrer aucune résistance ; car il commande au nom de la loi ». Les républicains modérés ont poussé ce culte de la force jusqu’à l’amour de la dictature. Les socialistes comptent sur la puissance de l’État pour les transformations qu’ils préconisent. Les royalistes souhaitent naturellement ce qui ressemble le plus à la royauté, et peut-être n’est-ce point sans arrière-pensée, témoin ce qui se passe à l’Assemblée le jour où l’on discute la durée des pouvoirs publics. Le projet porte qu’ils ne peuvent être délégués héréditairement. Proudhon ayant proposé d’ajouter : « Ni à vie », son amendement est repoussé. Une autorité viagère est envisagée sans horreur.

Mais en même temps qu’on veut un gouvernement fort, on le veut dépendant, docile à la volonté du pays, soumis à l’Assemblée, puissant pour le bien, impuissant pour le mal. Comme dira un orateur, de Parieu, on veut sur des racines de chêne une végétation de roseau. La Constituante s’épuisera dans la poursuite de cet idéal contradictoire.

Deux questions connexes se posent aussitôt. Comment et par qui sera nommé le Président temporaire de la République ? Quelles seront ses attributions ?

Cormenin a proposé au Comité la nomination par le suffrage universel et direct. Son avis a prévalu. Mais, dans l’Assemblée, de légitimes inquiétudes s’éveillent à l’idée de faire de la puissance publique un monstre à deux têtes égales et rivales. Plusieurs amendements tâchent de parer au danger. Le plus radical a pour auteur un député du Jura, Jules Grévy, qui a vite conquis par sa raison ferme et droite, par sa parole nette et précise, un sérieux ascendant sur ses collègues. Voisin de la Suisse, il propose un système pareil à celui qui est pratiqué en Suisse, identique d’ailleurs à celui même qui, né spontanément des circonstances, fonctionnait alors en France, toutes choses qui ne l’empêcheront pas d’être traité d’utopiste. Point de Président de la République ! Un simple chef du Conseil des ministres, qui sera nommé pour un temps illimité par l’Assemblée et toujours révocable par elle. Leblond, lui, accepte un Président, mais à condition qu’il soit nommé par l’Assemblée. D’autres cherchent des solutions intermédiaires : l’Assemblée désignant des candidats parmi lesquels le peuple choisirait ou, inversement, l’Assemblée choisissant parmi les candidats qui auraient obtenu le plus de voix au scrutin populaire, ou encore l’élection par le suffrage universel à deux degrés ;