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publié, comme bien d’autres, son plan de Constitution et qui, lui aussi, entendait remédier à une distribution défectueuse de la sève sociale, menaçant Paris d’apoplexie et la province de paralysie. Il s’agissait de mettre certaines libertés fondamentales à l’abri des caprices de l’autorité, d’ériger la commune agrandie, devenue cantonale, en centre nerveux et vivant, actif et autonome dans la sphère des intérêts locaux[1]. Mais la vieille tradition unitaire était la plus forte. Pour les uns, la beauté de l’administration impériale était un axiome indiscutable. Pour les autres, la peur du fédéralisme se liait au souvenir de la première Révolution. Odilon Barrot fut battu. Il n’avait guère été soutenu que par Tocqueville, « l’Américain », qui protestait contre l’insolente tutelle de l’État et déclarait qu’on ne fait pas un gouvernement libre avec un peuple de valets, et par Lammennais, qui estima le dissentiment assez grave, pour donner sa démission du Comité. Quand la question arriva devant l’Assemblée, les partisans de la décentralisation eurent beau alléguer que le système étouffant, combattu par eux, avait été imaginé par le despotisme le plus intolérable qui eût jamais existé, qu’il était propice aux coups de force populaires et césariens ; qu’il assurait la prépondérance aux villes sur les campagnes ; qu’il était ainsi favorable au socialisme ce qui était l’argument le plus capable de toucher la majorité ; Thiers, Dupin, Dufaure firent craindre la création de 30,000 petites républiques et la reconstitution des anciennes provinces. Orléanistes et républicains votèrent en masse contre les légitimistes, les catholiques et les quelques républicains libéraux qui avaient voulu dégager d’une pression écrasante la vie municipale, cantonale et départementale. Si l’on admit l’élection des Conseils généraux et municipaux, ces Conseils pouvaient être dissous, les maires suspendus, révoqués ; le Conseil cantonal, sur lequel on avait fondé toute sorte d’espérances, ne fut pas institué ; surtout Paris et les villes comptant plus de 20,000 âmes (le projet avait dit 100,000 âmes, mais cela avait paru démesurément large) étaient soumis à des dispositions exceptionnelles qu’une loi spéciale devait régler plus tard, l’ont cela sans préjudice de l’état de siège, qui permettait, sous prétexte de la moindre émeute, de suspendre pour un temps illimité toutes les garanties nominales édictées en faveur des citoyens.

Cette atrophie des libertés locales était grave. On se condamnait par là même, comme dit Odilon Barrot, à « accommoder la tête de la République sur le corps de l’Empire ». Le goût de l’uniformité, du gouvernement fort, de l’État presque omnipotent triomphait et allait se borner, en mainte circonstance, à décorer d’étiquettes républicaines des institutions monarchiques, si bien que le fond risquait fort d’emporter rapidement la forme.

On proclamait donc la République une et indivisible ; on déclarait que la souveraineté résidait dans l’universalité des citoyens et que tous les pouvoirs

  1. Voir à ce propos le projet de Baudot. représentant de l’Yonne. Impressions, no 1010.