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Je ne sais si Mallet du Pan a bien démêlé les raisons qui portaient les Girondins à demander l’appel au peuple sur le jugement du roi. Mais la contradiction éclate entre leur préférence systématique pour le régime représentatif et leur motion d’appel au peuple. Celle-ci, visiblement, n’était et ne pouvait être, pour eux, qu’une manœuvre occasionnelle. J’ai déjà noté, il est vrai, dans l’étude sur la Constituante, que cette idée d’un appel au peuple avait été émise dès les premiers jours de la Révolution par un futur Girondin, par le même Salle qui la proposa pour le procès du roi. C’était à propos du veto suspensif. Salle l’acceptait à condition que le peuple consulté pût mettre, par l’expression directe de sa volonté, un terme au veto royal. Et déjà Robespierre qui combattait le veto suspensif aussi bien que le veto absolu, dénonçait dans le système de l’appel au peuple une trompeuse apparence de démocratie qui permettait d’accepter, en fait, des solutions contraires à la démocratie. Tandis que, pour les démocrates robespierristes, l’action du peuple devait servir à appuyer contre la Cour ou contre les ennemis de la Révolution les décisions les plus hardies des représentants révolutionnaires, elle devait servir, pour ceux qui s’appelèrent les Girondins, à éluder les problèmes les plus pressants, à dissiper dans la responsabilité vague du peuple lointain les responsabilités immédiates de ses délégués. Pour les uns, elle était un excitant, pour les autres un dissolvant ; et voilà pourquoi on ne peut attribuer qu’une valeur de circonstance à la thèse des orateurs girondins invoquant soudain à propos de Louis XVI la souveraineté directe de la nation. C’était, au fond, un moyen dilatoire. L’appel aux masses, contraire à leur tactique fondamentale, n’était guère qu’un procédé d’ajournement : le peuple, qui savait la défiance habituelle de la Gironde à son égard, ne pouvait voir un acte de foi en cette manœuvre désespérée.

Les Girondins invoquaient un autre argument et commettaient une autre inconséquence. C’étaient eux qui, pour mieux assurer la victoire intérieure de la Révolution, avaient déchaîné la guerre. C’étaient eux qui avaient lancé un défi au monde en annonçant la chute de tous les trônes et l’universel triomphe de la liberté. C’étaient eux qui avaient dit et répété à la France révolutionnaire que les germes de Révolution abondaient chez tous les peuples, que les esprits étaient mûrs pour un ordre nouveau, et qu’ils n’attendaient qu’un signal de la liberté française.

Or, voici que tous les orateurs girondins affirment maintenant que le monde est travaillé par l’esprit de contre-révolution, que les peuples sont réfractaires à la Révolution, ou même irrités et indignés contre elle, et que si la Convention, en assumant la responsabilité directe de la mort du roi, fournit un aliment ou un prétexte aux passions hostiles, toutes les forces de l’univers vont se combiner contre la République française. Voici Salle qui s’écrie :

« Oui, citoyens, je vous le dis, parce que je vous dois la vérité, oui.