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« L’Académie, dit Borda, vient rendre compte à la Convention nationale de l’état actuel de son travail sur les poids et mesures ; elle espère que les premiers mois de 1794 verront la fin de cette grande opération : il ne restera plus alors qu’à faire les étalons qui seront envoyés aux différentes nations, et peut-être aussi aux Compagnies savantes de l’Europe qui, par leur célébrité, peuvent le plus contribuer à en étendre l’usage ; l’Académie s’estimera heureuse de pouvoir y contribuer par elle-même, et elle se félicitera toujours d’avoir concouru à l’exécution d’un projet glorieux à la nation, utile à la société entière, et qui peut devenir, pour tous les peuples qui l’adopteront, un nouveau lien de fraternité générale. »

Lalande ajouta, faisant de la science le prélude de la Révolution, et de la Révolution l’élargissement de la science :

« Les hommes qui, malgré les fautes d’un gouvernement despotique, ont encore servi la raison, qui l’ont élevée et fortifiée lorsqu’on tendait à l’opprimer, ne peuvent manquer de zèle au moment où, sous la République française, le génie peut choisir, à son gré, l’objet de ses méditations, où il peut se servir de tous les moyens d’être utile, où enfin la raison est devenue la seule puissance réelle, la seule à laquelle des hommes égaux et libres ne dédaignent pas d’obéir. »

Ainsi, au moment où la Révolution, partout victorieuse, semblait ouvrir à la liberté le vaste champ de la terre, elle l’ouvrait aussi à la science, et celle-ci, par l’unité de ses mesures, de ses méthodes, de ses lois, était appelée à compléter la grande unité humaine fondée sur le droit et sur la raison.

L’art aussi pressentait, en ce grand mouvement des hommes et des idées, la puissance d’inspirations nouvelles. Déjà, à la Constituante, des peintres, des sculpteurs, avaient fait hommage de leur génie à la Révolution. Mais ce n’est point sans mélancolie qu’au bas de ces adresses on trouve le nom de peintres comme Fragonard, dont la vie brillante et frivole de l’ancien régime semblait, en s’évanouissant, emporter tous les rayons. Comment eût-il pu soudain renouveler sa manière, et devenir le peintre des grands événements ? Mais voici que s’affirment, dès le début de la Convention, des forces nouvelles et de mâles génies. Voici que David, impatient d’ouvrir des routes nouvelles, propose, dès le mois de décembre, de briser les Académies de peinture et de sculpture et d’établir, si je puis dire, une communication directe entre les jeunes génies et le génie de la Révolution. Voici qu’au nom de la Convention, Romme, tout en s’opposant à une destruction hâtive, trace aux artistes un nouveau plan de vie, leur indique de nouvelles sources de force et de beauté :

« C’est aux lettres et à la philosophie, dit-il avec puissance, que nous sommes redevables du grand caractère que prend notre Révolution, et nous nous plaisons à compter, parmi les conquérants de nos droits ou parmi ceux qui nous ont aidés à les reconnaître et à nous en ressaisir, des membres de