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par l’excès de la misère et de la faim, comme les hommes ne peuvent revendiquer et exercer les droits que leur garantit la Déclaration qu’à la condition de vivre, la Révolution peut et doit assurer à tout homme le droit à la vie, soit par des secours aux invalides, soit par du travail certain aux valides. Ainsi, en vertu de ses principes mêmes, la Révolution limite nécessairement le droit de propriété de chacun par le droit à la vie de tous. Et cela n’est pas sans conséquences.

Enfin la Révolution, même bourgeoise, a besoin pour se défendre, de la force du peuple, de sa force politique et militaire, de son cœur et de ses muscles. À ce peuple dont l’influence grandit avec le danger, et sans lequel elle périrait, la Révolution assurera naturellement toutes les garanties d’existence, même contre le droit égoïste de propriété. Elle le protégera au besoin, contre les accapareurs, contre les riches, contre tous ceux qui élèvent le prix de la vie ou abaissent le prix du travail. Par là, se concilient dans la Révolution les idées de propriété individuelle et les idées de démocratie. Dès 1792, commence à se marquer cette complexité de la Révolution bourgeoise. Dès 1792, en même temps que la propriété individuelle se dépouille de tous les restes d’ancien régime qui l’opprimaient et la masquaient, s’affirme la force croissante du peuple, de ce qu’on appelle déjà les prolétaires.

La Législative n’eut pas le temps d’organiser l’assistance. Mais le 13 juin lui fut présenté, au nom du Comité des secours publics, un rapport étendu « sur l’organisation générale des secours publics et sur la destruction de la mendicité ». Le rapporteur, Bernard, député de l’Yonne, formule ainsi les principes qui avaient guidé le Comité : « C’est pour l’homme qui sent et qui pense un sujet continuel de peines et de réflexions, que le spectacle des diverses conditions de la vie humaine. Quand il voit l’énorme disproportion des fortunes, le tissu brillant qui pare plus encore qu’il ne couvre la richesse, près des haillons de l’indigence, à vingt pas d’un palais superbe une cabane qui défend à peine l’individu qui l’habite des injures de l’air et des saisons, lorsqu’il aperçoit à côté de l’heureux du monde entouré de toutes les superfluités de la vie, l’infortuné qui manque du nécessaire, il éprouve un sentiment pénible, il se reporte en imagination vers cet âge d’or, où l’or était inconnu, où le tien et le mien n’existant pas encore, les mots pauvreté et richesse n’étaient pas encore inventés ; il retrace à sa pensée le souvenir de cette égalité primitive, à laquelle il fut porté atteinte le lendemain du jour où le contrat social fut formé, et où la terre partagée entre tous cessant d’appartenir tout entière à chacun des individus disséminés sur sa surface, les lois assurèrent à chacun sa nouvelle propriété. On suppose ici que le principe de l’égalité fut la base de ce partage, qu’il fut fait d’un commun accord et que la fraude et la violence n’y eurent aucune part ; mais déjà l’on aperçoit que même dans cette hypothèse, l’égalité ne peut pas se maintenir ; que l’homme oisif par calcul et paresseux par penchant mit sa postérité dans la dépendance de