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sant outre d’un mouvement intrépide, ou se flattant de remédier au péril par quelques décrets.

Un moment, en février et mars, la hausse fut si grande sur quelques matières premières nécessaires au travail industriel que l’Assemblée songea, par tous les moyens, à en abaisser le prix : le coton, par exemple, s’était élevé rapidement de 240 livres le quintal à 500 livres. La laine, brute ou filée, s’était élevée à peu près dans les mêmes proportions. Et beaucoup de manufacturiers, de fabricants, criaient : « Mais qu’allons-nous devenir ? Et comment travaillerons-nous ? Comment occuperons-nous nos ouvriers si les matières premières sont aussi coûteuses et si l’étranger, encouragé par le change, les accapare et les absorbe ? » Et exploitant soudain avec une habileté grande la panique déchaînée par les hauts prix, les fabricants demandèrent à l’Assemblée de prohiber complètement la sortie d’un grand nombre de matières premières. Il y avait des précédents. Il s’en faut de beaucoup que l’Assemblée constituante ait appliqué sans réserve les principes de ce qu’on appelle la liberté commerciale. Elle avait frappé de droits d’entrée élevés les produits manufacturés de l’étranger. Et elle avait prohibé la sortie de plusieurs matières premières : du blé, nécessaire à la nourriture des hommes ; du lin, nécessaire à les vêtir, et des soies qui alimentaient de nombreux métiers. C’est en vertu de ces exemples très puissants sur l’esprit de l’Assemblée que le Comité du commerce, organe des intérêts industriels, demanda que la loi prohibât la sortie « des cotons ou laines provenant des colonies françaises, des laines de France filées ou non filées, des chanvres crus, taillés ou apprêtés, des cuirs en vert ou salés et en vert, des gommes du Sénégal et des retailles de peaux et de parchemin ». La prohibition fut violemment soutenue par les députés Marant, Massey, Forfait, Arena. Celui-ci fut vivement applaudi par le peuple des tribunes qui croyait, en une sorte de nationalisme économique un peu étroit, que ces dispositions prohibitives assureraient du travail à tous les ouvriers de France. « Votre objet, quel est-il ? s’écria Arena : c’est que vos matières premières n’aillent pas à l’étranger alimenter les ouvriers des autres, et rentrer en France augmentées du prix de la main-d’œuvre. » Le raisonnement était simple, trop simple, et répondait mal à l’infinie complication des phénomènes économiques. Marant s’écria que, sans la prohibition, 2 millions d’ouvriers allaient être menacés dans leur existence. Mais Emmery protesta avec violence que c’était là une simple manœuvre des manufacturiers contre le commerce et contre l’agriculture. Quoi ! les produits agricoles, la laine, le chanvre, le lin, ont été peu abondants cette année ; les cultivateurs ayant peu à vendre, pouvaient du moins être dédommagés par la hausse des prix, et en leur fermant les débouchés au dehors on veut les mettre à la merci des fabricants ! on veut les obliger à livrer à vil prix leurs marchandises. Il fit remarquer que les colonies, au lieu d’envoyer leurs produits et notamment leurs cotons en France où ils seraient immobilisés et dépréciés, les enverraient