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action révolutionnaire intérieure capable d’expulser immédiatement tous ces éléments mauvais.

À ceux qui s’enfiévraient et voulaient marcher sur Coblentz, il fallait dire : « Non, marchons sur les Tuileries. » Or, Robespierre disait bien ou laissait bien entendre que le véritable péril était non à Coblentz mais aux Tuileries : il ne proposait pas, il ne laissait pas espérer une action révolutionnaire prochaine. L’horizon, de plus en plus chargé et troublé, devait être dégagé par un coup de foudre : coup de foudre de la guerre, ou coup de foudre d’une Révolution populaire et républicaine. Robespierre ne promettait, ne désirait ni l’un ni l’autre. Il était tout ensemble pour la paix avec le dehors et pour la légalité au dedans : c’était trop demander à un peuple dont les nerfs ou excités ou affaiblis vibraient de nouveau après quelques mois d’atonie.

Aussi, son action contre la guerre, si elle fut grande et noble, ne fut pas efficace. Mais quel sens merveilleux de la réalité, surtout quel sens des difficultés, des obstacles chez cet homme que d’habitude on qualifie d’idéologue, de théoricien abstrait ! Et comme il dissipe les rêves vains de ceux qui croyaient, comme le dit le journal de Prudhomme, « en portant au peuple la Déclaration des Droits de l’Homme à la pointe des baïonnettes », établir sans effort la liberté universelle ! « N’importe, dit-il à Brissot avec une ironie puissante, vous vous chargez vous-même de la conquête de l’Allemagne, d’abord ; vous promenez notre armée triomphante chez tous les peuples voisins ; vous établissez partout des municipalités, des directoires, des assemblées nationales, et vous vous écriez vous-même que cette pensée est sublime, comme si le destin des empires se réglait par des figures de rhétorique. Nos généraux conduits par vous ne sont plus que les missionnaires de la Constitution ; notre camp, qu’une école de droit public ; les satellites des monarques étrangers, loin de mettre aucun obstacle à l’exécution de ce projet, volent au-devant de nous, mais pour nous écouter. »

« Il est fâcheux que la vérité et le bon sens démentent ces magnifiques prédictions ; il est dans la nature des choses que la marche de la raison soit lentement progressive. Le gouvernement le plus vicieux trouve un puissant appui dans les habitudes, dans les préjugés, dans l’éducation des peuples. Le despotisme même déprave l’esprit des hommes jusqu’à s’en faire adorer, et jusqu’à rendre la liberté suspecte et effrayante au premier abord. La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés, et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis. J’ai dit qu’une telle invasion pourrait réveiller l’idée de l’embrasement du Palatinat et des dernières guerres, plus facilement qu’elle ne ferait germer des idées constitutionnelles, parce