Page:Jarret - Moisson de souvenirs, 1919.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
MOISSON DE SOUVENIRS

Dès les premiers jours de mon arrivée à Boston, j’avais reçu une carte postale illustrée sur laquelle Jean me proposait d’en échanger avec lui. Cousine avait approuvé le projet et mis de l’argent à ma disposition. Les cartes illustrées commençaient alors leur vogue. Cousine s’intéressa fort à notre correspondance ; je lui soumettais mes achats qu’elle critiquait avec une gravité touchante. De même, invariablement, je lui montrais les missives de Jean, mais il faut bien le dire, elle ne se doutait pas des transports qui les avaient accueillies, en son absence.

Vers la fin d’août, un peu avant mon retour à Montréal, Jean m’adressa une carte représentant deux enfants, garçonnet frêle, fillette potelée, genre bébé, au pied d’une croix du chemin. La fillette avait une robe saumon et son jupon blanc dépassait un peu. Dans un moment de générosité, les deux enfants ont décidé de donner tous leurs sous aux pauvres.

Je demeurai grandement saisie en voyant cette carte et ne fis, cette fois, aucune démonstration extérieure. Jean l’avait-il choisie parce qu’elle lui rappelait des souvenirs ? Je l’enfermai avec les autres, dans l’album, mais un peu avant le retour de cousine, l’esprit toujours occupé de cette carte, je résolus subitement de ne pas la montrer et je courus la cacher dans ma valise.

Le lendemain, une autre carte m’arrivait. Cette fois, la petite fille était assise sur l’un des degrés de la croix et de son petit poing fermé, elle se frottait un œil en pleurant, tandis que le petit garçon, ému, se penchait vers elle, en un geste tendre et