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ADOLESCENCE

sibles, il se rendit à Paris, jurant de recouvrer son bien. Une idylle se mêlait au récit, mais pour moi, la véritable héroïne était cette toile merveilleuse, peinte par le génie, qu’on aimait comme une personne et qui pouvait sourire, charmer, émouvoir, alors que sa fidèle copie demeurait froide et sans âme.

Certain après-midi, revenant de dehors, je cherchai inutilement mon livre. Hélas ! je n’avais pas encore pris des habitudes d’ordre et laissais volontiers les objets un peu partout. Où avais-je donc déposé la Madone ? Ma mémoire me disait : « Sur la machine à coudre » mais enfin, elle n’y était pas. Je ne la revis jamais et à n’en pas douter, je sais, aujourd’hui, que c’est maman elle-même, qui l’avait fait disparaître. La fougueuse passion que j’apportais à dévorer ce livre, avait dû tourmenter sa prudence maternelle ; j’étais à un âge inquiétant. Et je remercie le bon Dieu de n’avoir rien soupçonné, alors. Sûrement, j’aurais été ingrate, tandis que me voici touchée dans l’âme et débordée de reconnaissance ravie.

Un jour, pendant l’étude, j’obtins la permission d’aller chercher mon dictionnaire à la classe. Je me sentais une surabondance de vie, je ne sais pourquoi : peut-être parce qu’une jolie neige venait de tomber en beauté. Je frappai légèrement, entrai aussitôt et après avoir sorti le livre de mon pupitre, une idée gamine me passa tout à coup par la tête et en trois bonds sur la pointe des pieds, je fus auprès du tableau noir. Je détestais écrire sur le tableau : la craie s’usant sous les doigts, me faisait mal aux nerfs, mais en n’appuyant pas trop, on