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MOISSON DE SOUVENIRS

bais ainsi et elle s’ingéniait à me trouver des besognes ; je les exécutais sans me plaindre, mais de si mauvaise grâce, que ma pauvre maman disait :

— Je n’aime pas te voir prendre ces airs de victime, Marcelle. Ce n’est pas pour te martyriser que je te demande ces choses, c’est pour te former, autant que pour m’aider.

Ce que j’acceptais le plus volontiers, c’était encore de bercer Victor, demeuré le benjamin. Il était facile à apaiser et longtemps après qu’il avait clos ses paupières, je le gardais encore sur mes genoux ; de cette façon, tout en paraissant occupée, j’avais repris mon livre et je n’en appartenais pas moins, corps et âme, à ma chère « Madone ».

Le comte parti, un peintre français qui voulait prendre des croquis de la place se présenta chez les bergers et sollicita, à cet effet, la permission de séjourner quelques heures par jour, dans la chambre au tableau. Les pauvres gens refusèrent longtemps, à cause de leur promesse, mais le Français était tenace et presque de force, il finit par obtenir ce qu’il désirait. Ayant jugé le tableau d’un coup d’œil, il eut une idée infernale, le copia à la hâte et disparut après avoir opéré la substitution.

Et le berger et sa mère tombèrent dans une grande tristesse, car ils remarquaient que la suave figure de la Madone avait pris un air rêche, comme qui est mécontent, et que le divin Bambino ne leur souriait plus. Ils pensaient que c’était à cause de leur faute. Or, le comte revint et fou de colère et de désespoir, il finit cependant par comprendre que ses hôtes avaient été plus naïfs que coupables et recueillant en hâte, tous les renseignements pos-