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ADOLESCENCE

ridicules, je mêlai souvent aux héros de mes rêves, la personnalité énigmatique de celui qui m’aimait.

Connaissant mon goût effréné de la lecture, tante Hermine m’avait offert en étrennes : La Madone des Fareilli. Je demandai à Jean, si c’était beau.

— Je crois bien ! fit-il avec admiration.

Lui l’avait lu en feuilleton dans une revue que recevait sa mère. Nous en parcourions les gravures ensemble, quand s’approchant, grand’mère me demanda le livre, un instant. Après l’avoir feuilleté :

— Il me semble, dit-elle, que ce n’est pas de ton âge.

Elle le feuilleta encore, haussa les épaules deux ou trois fois, en signe de regret et finalement, me le rendit.

À peine arrivée à Montréal, je me plongeai dans la lecture du livre que Jean avait trouvé beau. Il ventait dehors, il neigeait, le froid faisait rage, mais moi, je me chauffais à l’ardent soleil d’Italie, tout en compatissant au malheur poétique du comte — il me semble que c’était un comte — lequel, fugitif et poursuivi s’était caché sous un buisson, en tenant précieusement contre lui, un tableau protégé par des planchettes. Un berger l’emmenait chez lui et là, le comte découvrait la précieuse toile en faisant promettre au berger et à sa mère d’y veiller avec le plus grand soin et même, de ne jamais la laisser voir. Il viendrait la réclamer quelque jour et saurait bien récompenser ses gardiens.

Maman avait-elle entendu la réflexion de grand’mère ? Elle parut inquiète de ce que je m’absor-