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ADOLESCENCE

pour arriver en voiture, avec Jean. Mais, je le comprenais, il était plus gentil d’aider.

Chez nous (sous-entendu : ceux de…) arrivèrent d’abord, puis, ce fut Jean et les siens, avec mes frères. Nous nous mîmes à table ; je compte et constate que nous étions vingt et une personnes. Aussi, tante Louise avait-elle offert de présider la table des petits, dans la cuisine. Chez les grands, je me trouvai la cadette.

Jean m’avait fort surprise, non seulement à cause de sa haute taille, mais parce que sa voix changeait : c’était la raison qui l’empêchait de chanter à l’église. Mon cœur s’était serré en entendant cette grosse musique éraillée et je ne sais si elle en fut cause, mais je m’intimidais un peu, avec Jean. Sans doute, avais-je moins changé, car lui paraissait tout à fait à son aise pour m’aborder.

Nous eûmes une heure entière, je crois, de délicieuse causerie en tête-à-tête, où j’appris bien des choses. De sa voix basse, comme amortie à dessein, Jean me fit connaître par le menu, sa vie de collège ; il eut des confidences touchantes ; il m’initia à la politique, car il serait, comme mes frères, un ardent de la chose publique. Enfin, gouailleur il me questionna à son tour sur le couvent et s’informa cavalièrement de telle et de telle. De celle qui avait un casque de chat sauvage, de celle qui se donnait tant de peine pour voir les écoliers du chœur, de la petite excitée dont la tête allait comme une girouette. J’avais honte pour elles et la conversation avait tourné depuis quelque temps, quand Jean revint à ce sujet étrange et me confia ce qu’il avait au bord des lèvres depuis tantôt :