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ADOLESCENCE

échange ses pantoufles doublées de vair, contre de mignons sabots qu’il lui apporte et dès lors, la prend dans ses filets, tant qu’il veut. À chaque faute, cependant, les sabots la brûlent et elle trépigne.

Tout avait bien commencé, quand soudain, à l’instant où dame Mahaut me faisait ses adieux, je perçus que sa voix s’étouffait sous les châles et les capelines dont elle croyait devoir s’emmitoufler. Instantanément, elle m’apparut — comme les caricaturistes doivent voir leurs modèles — ridée, le nez plus aquilin que jamais et rejoignant presque le menton, la voix chevrotante. Et cependant, c’était ma petite compagne d’hier. Je me sentis prise du fou-rire.

Dame Mahaut partie, je me ressaisis un peu, tout en demeurant frémissante et voilà qu’en piétinant, à un moment donné, je sens que mes sabots de carton vont céder et que mes pieds menacent de passer au travers. Pour comble, voici ma duègne qui revient. Je me sentais humiliée, furieuse contre moi-même, mais je vous assure que je ne pouvais pas m’empêcher de rire.

Après la séance, grand’mère me fit demander au parloir et comme mère Saint-Robert passait justement, elle s’empressa de la féliciter — car c’était elle qui nous avait exercées.

— Seulement, ajouta grand’mère, avec son air trop digne des grands jours, j’ai des excuses très humbles à vous offrir, ma sœur, à cause de ma petite fille.

— En effet, répliqua mère Saint-Robert, ce n’était plus à son tour de rire.