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MOISSON DE SOUVENIRS

quand on m’ouvrit la porte. Il me parut encore grandi. Il portait un complet de serge bleue sous le paletot qu’il enleva prestement en me voyant et il me parut que lui aussi s’était ennuyé. Il parla gaiement, mais peu, me regarda beaucoup et par moments, le visage renfrogné, il faisait la moue, comme pour protester contre la rareté de ce bonheur qui nous réunissait. Avec son père il me reconduisit ensuite jusqu’à la porte du couvent.

Devant toute la classe attentive, mère Sainte-Sabine me présenta en ces termes, à mère Saint-Roch, ma nouvelle maîtresse :

— C’est une bonne petite fille. Elle m’a toujours donné satisfaction et je lui dois même, de vraies consolations, accentua-t-elle. Je ne voudrais pas, cependant, qu’on la croie sans défauts. Il y a de l’amour-propre dans cette petite tête et puis, je pense que vous feriez bien de visiter son pupitre, quelquefois ; il n’est pas toujours beau, car elle est immanquablement pressée quand il s’agit de remettre un objet à sa place. Enfin, il lui arrive aussi de bayer aux corneilles.

— Nous y verrons. Je vous remercie, ma sœur Sainte…

Au moment de se nommer entre elles, les religieuses, parfois, ne se rappellent plus leurs noms ; mais elles ne risquent pas grand’chose à commencer par Saint ou Sainte.

Mère Saint-Roch était une grande personne brune et maigre, une pince-sans-rire qui prenait plaisir à nous effrayer. Il était fort rare qu’elle ne nous parlât pas sur un ton ambigu, déconcertant. Devait-on la prendre au sérieux ? Voulait-elle