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ENFANCE

— Papa l’a défendu, fit-il, pour jusqu’à ce soir.

Après un silence, je lui demandai une autre chose, timidement : s’il ne consentirait pas à me prêter son violon, un « petit peu ». Il ne se fit nullement prier et me le plaçant dans la bonne position, ses mains par-dessus les miennes, il me fit exécuter ce que lui-même venait de jouer ; avec des modulations, cette fois, des accrocs, des tremblements et le tout me laissa aussi fatiguée que la mouche du coche, malgré ma satisfaction intense d’avoir « joué de la musique » sur un violon.

Mes frères avaient ramené M. Saint-Maurice, grand garçon de quinze ans, un peu dégingandé et porteur d’une magnifique chevelure ondulée, dans laquelle il plongeait à tout moment, ses cinq doigts. Nous fûmes priés de nous mettre à table : toutefois, comme on n’était pas aussi grandement chez tante que chez grand’mère, une seconde table avait été préparée pour les plus jeunes. Bien entendu, Jean et moi nous en faisions partie. À la fin du repas, tante passa elle-même le gâteau tranché : oncle Ambroise tira la fève et choisit grand’mère pour reine.

Après avoir fumé quelque temps, les messieurs vinrent nous retrouver au salon et leur premier mot fut pour vanter le talent de M. Saint-Maurice. Ce jeune homme, paraissait-il, exécutait un portrait en quelques coups de crayon. On s’empressa de lui procurer ce qu’il fallait et chacun demanda à être croqué. Comme les autres, j’éprouvais un violent désir d’y passer et encouragée par Jean, je finis par m’approcher. Il sourit, me regarda deux ou trois fois, d’un regard si aigu que j’en restais décontenan-