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MOISSON DE SOUVENIRS

me fit voir ses blocs, avec les dessins-modèles qu’il s’agissait de reproduire, puis l’affaire, un cylindre bariolé qu’il me promit de tourner bientôt. En attendant, il arma son fusil, et de la tête, désignant ma poupée :

— Veux-tu, fit-il, gouailleur, je vais tirer su’ elle ?

J’eus une protestation effrayée :

— Fais pas ça, Jean !…

— Ça lui fera pas mal, reprit-il. Tiens, touche : c’est mou, la balle est en caoutchouc.

Et baissant mystérieusement la voix, avec une mimique empressée :

— C’est seulement pour lui faire peur, continua-t-il. Je tirerai à côté.

Je gémis encore : « Non, non ! » les larmes aux yeux. Mais Jean était féroce dans ses désirs. Tendant le jarret, il s’apprêta à faire partir le coup. Alors, désespérée, je tentai de fuir avec la chère petite, qui, par bonheur, ne se doutait de rien. Jean me rattrapa, me força de me rasseoir et tout en reprenant son boniment, il pressa la gâchette : la balle alla rouler sous un meuble.

— Tu vois bien ! fit-il, triomphant.

Et armant de nouveau l’infernal instrument :

— À c’t’heure, continua-t-il, je vais recommencer, et puis ça sera la dernière fois.

Nouvelle résistance de ma part, mais n’ayant pas même de preuves pour appuyer mes craintes, force me fut de céder. Mes yeux clignaient. Je détestais les fusils. Au moment même où j’entendais le déclic, la balle me rebondissait avec fracas sur l’oreille. Étourdie, je ne compris pas tout de suite que cela cuisait. Jean avait laissé tomber son