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ENFANCE

infirme et de complexion délicate. C’était la favorite de Thérèse, et moi qui l’enviais parce qu’elle était exemptée du couvent, je la jalousais encore à cause de Thérèse. Secrètement, sans raison pour me justifier, j’avais voué un culte à notre aînée. Me trompais-je tellement dans mon admiration ? Quoique la plupart du temps, mauvaise tête, nos maîtresses lui témoignaient la plus grande estime. Énergique, d’une gaieté spirituelle et prompte, elle avait encore cette faim du cœur, ce luxe de générosité qui caractérisaient les Sablé. Quoique naturellement expansive et d’un commerce attrayant, surtout à cause de sa gaieté, on devinait chez elle une fougue contenue, un peu inquiétante. Le dévouement était pour elle un vrai besoin, tout comme l’activité. Aussi, avec quel mépris ne traitait-elle pas, mes langueurs de paresseuse. Le plus souvent, je passais inaperçue à ses yeux, mais quand elle prenait la peine de se rappeler mon existence, c’était le plus souvent pour me rabrouer jusqu’à ce que je me fusse soulagée par un déluge de larmes. Alors, elle me quittait ou me renvoyait et moi, aussitôt, je m’ennuyais d’elle !

Amanda me ressemblait, disait-on. Mais elle avait les traits plus forts, les yeux bruns, le teint ambré. Comme notre mère, elle témoignait d’une tendance à l’humeur chagrine et son caractère était sans profondeur. D’intelligence ouverte, cependant, très bonne, elle traitait avec Thérèse sur un pied d’égalité, ce qui lui donnait ensuite une écrasante supériorité sur moi.

Thérèse avait de beaux yeux noirs que barraient les sourcils très proches, mais ses traits, nets et