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MOISSON DE SOUVENIRS

cuites, laides à faire fermer les yeux. Quelquefois, en me rasseyant sur le sofa, ma robe, un peu courte, laissait dépasser quelques dents de mon jupon brodé : cela nuisait à Jean qui saisissait alors à deux mains le bord de ma jupe et le ramenait par-dessus les genoux. Ensuite, il m’entourait de ses bras et me tenait longtemps embrassée en me regardant d’un air tendre et sérieux. Était-il assez bon et gentil ! Il faut remarquer qu’il n’avait pas fait le plus petit bruit depuis le départ de ses parents. C’était bien, vraiment, un noble caractère.

Au Sanctus, Omésie vint réciter une dizaine de chapelet avec nous. Elle se mit à genoux sur le sofa, à côté de moi, et traça son signe de croix avec une telle respectueuse ferveur, que toute mon âme s’envola en haut. J’ai rarement mieux prié. Et cependant — comme la chair est faible — vers la fin, je ne résistai pas à l’envie de voir Jean quand il priait. Il m’apparut, agenouillé sur sa chaise, très droit dans son petit habit de serge au grand col marin, les bras croisés, la figure d’un ange et deux yeux de chair rose frangés de soie, extrêmement émouvants. Ma curiosité à peine satisfaite, j’en demeurai toute confuse.

Après dîner, nous montâmes à la chambre aux jouets et le soleil, contre toute attente, écarta les nuages et s’installa avec nous. La chambre en devint toute gaie. Était-ce l’effet d’un bon repas chaud, ou l’inévitable réaction après la haute sagesse de ce matin ? Jean fut pris d’une verve endiablée. Il chantait gravement tout ce qui lui passait par la tête, des choses qui n’avaient ni rime