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MOISSON DE SOUVENIRS

n’avait pu appartenir à l’enfant. Après « Dans cette étable », il chanta : « Il est né » puis « Nouvelle agréable ». Maman revint alors ; elle avait fait toilette et continuait de lisser ses bandeaux, avec la main. Elle s’assit en disant, contente :

— Du chant ! De la musique !

Elle avait prononcé ces mots sur un ton de voix naturel et tout naturellement aussi, quand il commença « Les anges dans nos campagnes, » Jean ne retint plus sa voix. Ce fut un peu moins beau.

Décidément en verve, il demanda ensuite à Lydia, si elle pouvait accompagner Adeste fideles. Sur la réponse négative de la petite qui rougissait, il prit sa place au piano et s’accompagna lui-même. Religieusement, avec une charité grave et tendre, il chanta les belles syllabes latines, laissant se déployer sans entraves, toute la vivante richesse de sa voix à laquelle se mêlaient humblement, les notes veloutées du piano. En tournant le dos, il semblait nous avoir oubliées, et la tête légèrement renversée en arrière, il tenait ses paupières presque closes, comme s’il eût été en face du Tabernacle.

J’avais pu considérer ma sensibilité comme à jamais anéantie, mais, raidie de toutes mes forces contre moi-même, éperdue et avalant des sanglots, je n’en croyais plus rien. Jean m’avait tout rendu.

Il terminait à peine l’Adeste quand papa revint, puis mes frères. Il leur tendit la main, échangea quelques mots avec eux, mais absorbé et frémissant, comme toujours lorsqu’il venait de chanter, il nous quitta presqu’aussitôt.