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JEUNESSE

jours avant mon départ et humiliée, je regrettai amèrement.

À la maison, on trouva que le Nord m’avait fait tant de bien, que l’état de ma santé n’inquiéta plus. J’étais sûrement mieux et n’eût été mon chagrin latent, j’aurais joui, avec délice, de ma quinzaine de vacances. Hélas ! l’automne s’annonçait à peine, que mes forces s’évanouissaient de nouveau et que je redevenais peureuse et languissante. — « C’est nerveux, me disais-je à moi-même. Que je me domine et ce sera fini. » Et je songeais à la première lettre de Jean qui m’avait si vite transformée. Aussi, je trouvai inutile de fatiguer les miens par de nouvelles confidences.

Le jour, d’ailleurs, se passait assez bien, mais la nuit, je m’éveillais sans cause, et sans cause, j’avais peur ; dès que les bruits familiers renaissaient dans la maison, je me rendormais. Il me venait des remords : je m’étais trop fatiguée à dessiner peut-être et à… aimer ? J’avais manqué de prudence ? Désespérément, j’essayais de me laisser vivre comme font tant d’autres. Me laisser vivre ! Cette perspective m’apparaissait délicieuse. Mais il était trop tard. Je ne pouvais plus.

L’artiste s’était subitement glacée en moi et aux heures propices de solitude, au lieu de sourire à quelque fugace vision de beauté, j’avais à me débattre au milieu d’angoissantes questions. Pourquoi Jean agissait-il ainsi ? Mon Dieu, pourquoi ? Si, au moins, il avait bien voulu s’expliquer ! Quelque danger nous menaçait-il vraiment et… était-ce pour nous y soustraire qu’il… affectait