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MOISSON DE SOUVENIRS

— Pardonne-moi, implora-t-il enfin. Je t’assure qu’il m’a été impossible de me rendre chez toi.

Je balbutiai :

— Tu es en ville depuis longtemps ?

— Depuis quelques jours…

Le cœur serré, je continuai :

— Et tu t’en retournes bientôt ?

— Non, non, dit-il. Je viens étudier.

Et tout à coup, un sourire chiffonna son visage, amaigri à ce qu’il me semblait, et poussant la porte :

— Si tu le veux, fit-il, je vais te reconduire quelques pas.

Tandis que nous allions, son sourire s’éteignit plusieurs fois et il oubliait lamentablement de le ressusciter. Sans cette préoccupation évidente, dont il ne me confiait pas la cause, j’aurais été bien heureuse. Il m’avouait s’être ennuyé chez son oncle. Ah ! je le croyais si volontiers ! Et quand il disait : « Maintenant que je suis en ville… » ses lèvres tremblaient de plaisir contenu. Il me promit une visite à la maison, aussitôt que faire se pourrait et quoiqu’il ne m’eût quittée qu’à une faible distance de notre rue, l’enivrement de sa présence se dissipa aussitôt et en entrant chez moi, je me sentais émue de si étrange manière, que j’avais surtout envie de pleurer.

Jean prit l’habitude de venir nous voir quelquefois ; mais son temps, assurait-il, lui appartenait à peine. Arriéré dans ses études, il devait en outre, fréquenter assidûment le médecin, et enfin, il retournait chez lui toutes les semaines.

Je le voyais si divers à chacune de ses visites, si nerveux, si absorbé et parfois si mélancolique que