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JEUNESSE

— Mais vous ressemblez à votre petit garçon qui dort !…

Ce qui fit beaucoup rire. Et moi, je me demandais, si elle avait dit vrai ?

Cette année-là, pour la tombola annuelle du Foyer, Roseline offrit un coussin de velours blanc que nous avions ensemble confectionné, dessiné et pyrogravé et qu’elle s’obstinait à nommer drôlement : « notre beau coussin en bois brûlé ».

Je remerciai le bon Dieu d’avoir connu le Foyer, car l’Hebdomadaire suspendit bientôt sa publication et je sentais que loin de Jean, mon crayon devenu inutile, j’aurais été lourdement malheureuse ; pourtant, ma vie n’était pas triste, je l’ai dit. Dessiner pour moi seule, il n’y fallait pas songer. Outre que ma nonchalance naturelle nécessitait sans cesse un stimulant, quel profit aurais-je tiré de ces esquisses solitaires ? Puisque c’était précisément pour me dépenser, me donner, et bien souvent aussi, me fuir, sans mourir tout à fait, que je travaillais à ces choses. Enfermée dans ma chambre avec lui, j’oubliais n’importe quel déboire, ayant peu souffert encore. Oh ! non. Il m’eût été impossible d’abandonner mon crayon et j’accablai le Foyer de mes envois.

Comme Jean, sur qui il s’était toujours modelé, Gonzague se préparait au notariat. Nous étions demeurés très unis et en récompense de ma sollicitude à son égard, mon bon frère m’amenait l’un après l’autre, ses camarades de l’Université, qu’il savait être libres, avec l’espoir de voir bientôt l’un d’eux accepté comme galant. Mais j’étais terriblement difficile à satisfaire et fâché, après