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JEUNESSE

vées au dessin et bientôt, je renonçai tout à fait à la musique. Mais j’oubliais le temps volé au dessin, lorsque je me composais une toilette nouvelle. Que j’étais coquette, grand Dieu ! seule, Roseline aurait pu me rendre des points. Je m’étudiais de longues minutes devant la glace ; je connaissais par cœur le moindre pli de mes vêtements et un détail insignifiant qui clochait suffisait pour me jeter dans une timidité atroce. Par contre, quel ravissement frivole, lorsque je revêtais une toilette neuve, le plus souvent confectionnée par nous, maman, Roseline et moi. Alors, pour fixer mon plaisir, je pensais à Jean. Quoique je ne l’attendisse jamais, en aucun temps, je n’aurais été surprise de le voir arriver et il m’arrivait de poser avec complaisance pour lui, tout comme s’il eût été présent.

Sa deuxième année d’étude se passait encore chez son oncle. Il ne m’écrivait jamais et je ne recevais de ses nouvelles que par hasard. M. Saint-Maurice lui, se montrait fort assidu à fréquenter la maison, mais depuis le Congrès, je ne le craignais plus. Je me sentais parfaitement libre vis-à-vis de lui, et comme jamais, à ma connaissance, Roseline ne lui avait montré mes dessins, je me disais avec plaisir qu’il ignorait sans doute.

Un jour, Roseline me demanda de donner quelques dessins à la Revue du Foyer ; elle connaissait cette œuvre de Protection de la jeune fille et prétendait même s’y dévouer. Je promis bien volontiers et me sentis si à l’aise avec cette clientèle supposée de jeunes personnes qu’au lieu de forcer mon talent, comme à l’ordinaire je composai : Les petites, une œuvre très enfantine, me disais-je,