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JEUNESSE

mots. Pourquoi les mots nous trahissent-ils parfois ?

Jean s’était placé de manière à surveiller la rue et nous eûmes plusieurs fausses alertes. Il était resté nerveux et à la merci de la moindre impression. Nous causâmes, tout de même, longuement, délicieusement, sans hâte, sans fatigue, sans désir importun. Les nôtres arrivèrent tard et ainsi qu’il m’en avait prévenue, Jean s’enfuit à leur approche, tel un malfaiteur et descendit drôlement par l’escalier de service conduisant à la cour, de là, à la ruelle et enfin, aux petites rues voisines de la nôtre.

Au commencement de la soirée, je fus bien surprise de le voir revenir en auto avec M. Saint-Maurice. Ce dernier mettait sa voiture à notre disposition pour nous faire admirer l’illumination de la ville, couronnement des fêtes du Congrès. Jean céda sa place aux dames et si Roseline ne cessa de babiller, reconnaissante et gaie comme un pinson, pour moi, j’avais préféré appliquer sur mon âme bienheureuse, le scellé de mes lèvres closes. Je ne pensais plus aux Anciens ; celui qui m’occupait était à la fleur de l’âge et beau, héroïque et charmant. Il me semblait que je venais seulement de le connaître ; mon bonheur était inattendu et inlassablement, je souriais à Jean, dans la nuit lumineuse. Si profonde était ma préoccupation égoïste, que je n’ai conservé de cette promenade à travers la ville parée de ses atours de feu, qu’un souvenir féérique et confus. Je sais seulement qu’on me fit remarquer, rue Sherbrooke, la demeure d’un riche Canadien-français, simplement et originalement ornée d’une draperie de petites ampoules