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MOISSON DE SOUVENIRS
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saient plus peur et maintenant, je m’en allais par les rues, légère et soulevée d’émotion.

Les maisons disparaissaient sous les décorations : banderolles, lanternes chinoises, inscriptions enthousiastes, et cette uniforme parure en faisait des sœurs charmantes. Grands et petits, des drapeaux les pavoisaient jusqu’aux faîtes, en l’honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, captif de l’hostie blanche. Comme moi, et vers le même but, sans doute, beaucoup se hâtaient. Les tramways étaient bondés et je cheminais toujours, en songeant au grand nombre d’étrangers en ce moment mêlés à notre population. Nous recevions en ce moment de « belles visites ». Que j’étais fière de mon pays ! Je me demandais : « Quelle impression vont-ils emporter de nous ? » Et j’étais certaine que les Français avaient dû pleurer d’émotion en nous découvrant, nous et notre poétique histoire.

Rue Saint-Hubert, la foule déjà compacte, rendait la circulation presque difficile, et en bas de chez tante, je vis qu’on avait décoré la fenêtre de deux grands drapeaux, les hampes croisées : l’un d’eux était blanc avec un semis de fleurs-de-lys. Non, je ne puis exprimer le saisissement qui me cloua sur place. À l’instant, rien d’autre n’existait plus pour moi et je retournais à deux siècles et demi, en arrière : alors ce drapeau ne symbolisait-il pas la France ? Mes aïeux étaient donc partis sous sa protection, avaient vécu ici sous son ombre et le sang que je tenais d’eux, frémissait éperdûment. Je sentais que j’allais m’exalter et m’arrachant à la contemplation de l’émouvante relique, je gravis l’escalier. Tante m’entraîna vers l’une des grandes