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MOISSON DE SOUVENIRS

comme si mon regard l’eût atteint, à ma grande confusion, il relevait aussitôt sur moi, ses beaux yeux rêveurs, plus vivants, alors. Et comme au temps où j’étais petite, je suppliais le bon Dieu de ne pas permettre qu’il m’adressât la parole. Pour lui répondre, je me serais sûrement troublée : quel désastre ! Mon désir, cette fois, devait être sage, car je fus exaucée.

Roseline avait manœuvré de façon à se rapprocher de notre visiteur, et comme en extase, souriante, avec ce regard en dedans qui lui était propre, elle ne voyait plus que lui, semblait-il. Elle recevait avec bonheur ses taquineries ou celles de mes frères, répondait finement, de sa voix naïve, un peu lente, faisait rire à son tour et paraissait en pleine félicité. Et je me disais : — « Tant mieux ! De quel poids, elle me délivre ; car elle comprend bien en ce moment, que je n’ai pas l’intention de me poser en rivale. La voilà assez heureuse, même pour ne pas voir qu’il pense à moi. »

M. Saint-Maurice parti, Roseline se leva en disant qu’elle allait boire, car elle avait grand’soif. En passant près de moi, elle me heurta presque, en remarquant avec aigreur :

— Tu ne te dérangerais pas pour cent piastres…

Rougissante, secouée, je compris tout à coup, qu’elle n’avait pas été dupe. Et désormais, la parfaite entente fut finie, entre nous.

M. Saint-Maurice qui revint souvent, cherchait visiblement à se rapprocher de moi. De plus, je le rencontrais partout, en dehors de la maison et terrible intuitive, Roseline ne manquait jamais de me le faire avouer. S’il avait donc voulu être