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MOISSON DE SOUVENIRS

page, j’ajoutais une réflexion générale, au crayon rouge. Ce nouveau mode eut beaucoup de succès : il créa de l’émulation et tout le monde savait que c’était la petite maîtresse qui écrivait ces choses, dans les cahiers. Toutefois, tante me pria de n’en pas écrire trop long et en révisant elle-même le tout, elle mûrissait finement mon esprit, par ses observations de psychologue.

— Vraiment, disait-elle parfois, tu aimes à faire la classe ? Alors, c’est un héritage de famille.

Car grand’mère aussi, paraissait-il, avait enseigné avant de se marier.

Vers la fin de mai, au moment où la campagne inexprimablement belle, me désespérait et me tenait en extase, une nouvelle imprévue me rappela à la maison : Thérèse et Amanda se mariaient, le même jour. Thérèse avec un veuf, père de trois enfants, et Amanda avec un jeune employé de bureau. Roseline se trouverait désormais seule grande fille, à la maison, et maman croyait devoir réclamer mes services. J’eus gros cœur d’abandonner mes petites et tante et mes grands-parents et la campagne verdoyante…

La journée du mariage passa comme un rêve, mais les fêtes ne durent pas toujours, et Roseline m’effrayait sans le savoir, en répétant que je verrais enfin ce que cela signifiait, tenir maison. J’héritai de la chambre de mes aînées, Roseline préférant continuer de partager la sienne avec Lydia, sa favorite. C’est un bonheur rare que d’avoir un petit coin joli, bien à soi. Je l’arrangeai de mon mieux, me promettant bien de prendre enfin de belles habitudes d’ordre ; puis, encouragée aux projets, j’offris à ma-