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ADOLESCENCE

son piédestal, saint Joseph regardait la rue ; de l’autre côté de l’escalier, c’était la sainte Vierge.

Nous nous promenions depuis plusieurs minutes, quand mère Saint-Blaise, soupira :

— Marcelle va donc nous quitter… Et moi qui m’étais habituée à votre présence, petite fille.

Devant mes lèvres soudain tremblantes, devinant que le terrain était dangereux, elle prit le parti de philosopher :

— C’est la vie, que voulez-vous ? La vie est hachée d’absences et de départs. Bienheureuse êtes-vous de le savoir encore si peu, petite.

Et tout à coup, penchée sur moi et souriante :

— Qu’allez-vous faire ? demanda-t-elle. Avez-vous l’intention d’embrasser la vie religieuse ?

À ce moment, oui, je regrettai la promenade. Que je me sentis irritée ! Sourdement, j’avais toujours pressenti que mère Saint-Blaise en viendrait à cette question. Mère Sainte-Lucie nous en parlait, lors de nos réunions d’Enfants de Marie. N’était-ce pas la coutume ? Dès qu’une pauvre petite fille se permettait de grandir — et le moyen de s’en empêcher ? — on l’assommait d’un : « Et votre vocation ? » ou si elle était décidée pour le monde : « Quand vous mariez-vous ? » En sorte que, de deux choses, l’une : ou bien, elle était trop jeune pour comprendre la vie, ou bien trop chargée pour pouvoir en jouir. J’étais bien résolue, pour ma part, d’apporter une réforme à ce malheureux état de choses ; aussi, sans hésiter, nettement, je répondis :

— Non, je n’embrasserai pas la vie religieuse.

Mère Saint-Blaise me regarda, un peu étonnée.