Page:Jarret - Contes d’hier, 1918.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
UN BEAU SOIR D’ÉTÉ

saient joyeusement. L’idée lui vint de se rendre jusqu’au pont qui n’était pas loin d’ailleurs.

Elle poussa la barrière qui se ferma avec un bruit discret, et les pieds dans la poussière molle, elle avança lentement. Une senteur de miel lui arrivait de quelque champ de sarrazin invisible et les vieux ormes géants, les frênes, les érables à tête ronde, qui bordaient la route de chaque côté, et rejoignaient leurs branches comme des amis qui se tendent la main, faisaient à Mlle  Aimée un arc de triomphe que la lumière ne traversait pas. À l’entrée du pont elle aperçut un peuplier solitaire, planté comme une torche et tout flamboyant de lumière de lune. Elle vint s’appuyer au parapet, et regarda couler l’eau brune, murmurante, qui réfléchissait les astres et les faisait danser comme des esquifs trop frêles. L’air était singulièrement frais au-dessus de la rivière : Mlle  Aimée rêva d’être un de ces insectes qu’on appelle des « patineurs » et qui glissent sur l’eau comme sur une glace solide. Les talus abrupts étaient fourrés d’herbe grasse et luisante, les mouches-à-feu commençaient à y promener leurs étincelles rouges. Au loin une vache inquiète se mit à meugler, étrangement, dans la paix du soir.