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h ! les malheureux ! c’était la première et la dernière chanson qu’ils devaient entendre avant de mourir.

On touchait à l’automne, et les brouillards plus épais tombaient du haut des tours, lorsque M. de Richelieu quitta la Bastille en grand triomphe. Une des filles de M. le régent s’était jetée aux pieds de son père en demandant la grâce du jeune homme, et le régent s’était laissé fléchir. Le départ de ce joyeux voisin fut encore un ennui pour Mlle de Launay, et plus attristée à mesure que l’hiver était plus proche et la solitude plus profonde, elle écrivit à M. Leblanc le billet suivant :


« MONSEIGNEUR,

« Ce n’est ni l’impatience ni l’ennui qui me forcent à vous importuner. Ce qui m’y détermine est la juste appréhension qu’une personne aussi obscure que moi ne soit totalement oubliée. Cette crainte est d’autant mieux fondée, qu’il est peu vraisemblable que les motifs de ma détention en rappellent le souvenir ; je me flatte qu’ils sont aussi peu remarquables que ma personne. Et, dans cette opinion, j’ai trouvé quelque espèce de nécessité de vous remettre en mémoire que j’ai été amenée à la Bastille à la fin de l’année 1718, et que j’y suis encore. Quand je saurai, Monseigneur, que vous vous en souvenez, je me reposerai du reste sur votre équité et sur votre humeur bienfaisante, contente, en quelque état que je sois, d’obéir aux lois qu’on m’impose et de révérer le pouvoir souverain par une soumission volontaire à ses ordres. »


Sa lettre écrite, elle attendit sa délivrance, ou tout au moins l’espérance d’être délivrée. Hélas ! rien ne vint, que l’hiver sombre et menaçant. La prisonnière était à