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MÉDITATIONS

une terrine comme la terrine d’un chien, assis, les jambes dans le fossé, à la noire fraîcheur des platanes, tandis que midi sonne et tremble. Sa vieille femme qui lui a apporté son déjeuner lui verse de temps en temps un verre de vin. Il boit, puis il relève son front suant et il jette sur la route un regard résigné. Tantôt, il va recasser des cailloux et sa femme retournera à la maison, remportant la terrine, sans qu’ils aient songé à s’adresser la parole. Il a mangé, mangé pour nourrir sa pauvre vie. Qu’est-ce donc qui l’attache encore à la terre, qui l’empêche de s’aller jeter à l’eau entre les aulnes ? Ici, je m’explique :

Ce repas qui te semble vil est sa récompense, le paiement de la besogne, un peu du repos que prit Dieu quand il eut fait le monde. L’Éternel ayant travaillé vit que tout était bien ainsi. De même, cet ouvrier, dont la tâche est suspendue. Il juge bonne la Création, Il retrouve dans sa soupe les pommes de terre, les carottes de son jardinet ; et il loue en silence le Tout-Puissant de ce qu’elles sont jolies et parfumées.