Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le plus ému par mon poème balbutiait :

— Et voilà ! Et voilà !… Si ce n’est pas triste ! Voir un homme qui est poète, et il est dans cet état !

Et il achevait dans un nasillement ému :

— Voilà… moi… je ne suis qu’un gendarme. Je vous remercie. En vous écoutant, il me semblait que je faisais ma tournée… Ah ! si nous avions le temps d’écouter des rimes qui vont comme ça au cœur !… Mais celles que l’on lit habituellement, on ne les comprend pas. C’est comme de l’étranger.

À ce moment je ne me sentis pas très différent d’Homère. D’ailleurs, que se propose la grande poésie, sinon de toucher le cœur ? Le nierais-tu, ô toi qui recherches la gloire ! et n’aurais-tu pas été flatté à ma place ?

L’amateur de rimes se pencha vers moi, tandis que ses camarades me rendaient le salut militaire.

— Les gendarmes, fit-il d’un air confidentiel, ne sont pas riches. Veuillez cependant recevoir cette gratification. Et il glissa vingt-cinq centimes dans ma main, ce qui porta mon avoir à vingt-six francs et un sou.