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certains Belges, comme Coenen, Splingard, Herman, regardaient au début avec quelque défiance ces Jurassiens qu’on leur avait représentés comme les hommes liges de Bakounine, notre excellent ami Cafiero, dont l’intransigeance s’accommodait mal de notre modération, la taxait parfois de faiblesse, et semblait croire, lorsque je me refusais à rompre prématurément avec le Conseil général, que je pactisais avec l’adversaire. Morago, un jour qu’il me vit causer dans la salle du Congrès avec Lafargue, — qui m’avait abordé pour me parler des choses espagnoles, et que j’écoutais tranquillement, ne me sentant de haine pour personne, — me reprocha violemment, comme une trahison, d’avoir consenti à m’entretenir avec un homme qu’il détestait. Au milieu de ce conflit de passions exaltées, et des exagérations que je voyais se produire de part et d’autre, l’espoir que nous réussirions à sauver l’Internationale, mise en si grand péril par les marxistes et les blanquistes, avait soutenu jusqu’au bout mon courage. Après six jours de lutte, nos efforts se trouvaient couronnés de succès ; notre union avait déjoué les manœuvres de nos adversaires, tandis que les autoritaires s’étaient divisés et que leur coalition s’était rompue d’elle-même[1]. Quelques hommes, parmi lesquels j’avais le regret de trouver trois anciens collègues des Congrès d’autrefois, — Dupont, Longuet et Kugelmann, — venaient de voter mon expulsion de l’Internationale, en même temps que celle de Bakounine ; mais je savais que ce verdict ne serait pas ratifié par les Fédérations, et je quittais la Haye l’esprit tranquille, heureux de pouvoir ouvrir de nouveau les yeux sur la nature, et regardant avec ravissement, par la portière du wagon, se dérouler à perte de vue les grasses prairies et les canaux tranquilles. Ce qui m’avait le plus coûté, pendant la semaine passée dans la fournaise dont je venais de sortir, c’était de n’avoir rien vu : rien, que les rues inanimées par lesquelles nous nous rendions le matin à la salle du Congrès, et où on ne rencontrait guère, à cette heure, que les servantes occupées à laver à grande eau, à la mode hollandaise, au moyen d’une petite pompe, la façade des maisons ; que le cabaret où nous allions en courant, à midi, prendre un frugal repas, pain et poisson fumé, avec un verre de la bière plate et fade que boivent les ouvriers du pays ; que l’auberge où le soir nous devisions avec les délégués anglais en prenant une tasse de thé accompagnée de tartines.

  1. Dans une note (n° 4573 B) du Supplément (encore inédit) à sa biographie de Bakounine, Max Nettlau, après avoir retracé les négociations qui aboutirent à l’union de la minorité du Congrès sur le terrain de l’autonomie, malgré les divergences doctrinales qui pouvaient séparer les Anglais ou les Hollandais des Espagnols ou des Italiens, s’exprime en ces termes (je les reproduis dans la langue originale) : « Diese Mitteilungen sind zum Verständniss des gesammten Schicksals der Internationale seit dem Haager Congress unentbehrlich. Man hätte nicht gedacht, dass die Entscheidung so sehr sozusagen an einem Haare bing, an der Entschlossenheit eines Mannes, gegen den Wunsch seiner eigenen Freunde eine ihm richtig scheinende Taktik durchzuführen. Wenn G. richtig urteilt, muss man annehmen, es wäre durchaus möglich gewesen, dass — wenn die Spanier, Italiener, .lurassier einen intransigenten Standpunkt offen eingenommen hätten — die Belgier, Holländer, Engländer u. s. w. auf Seite des Generalrats geblieben wären und dass dann Marx die Internationale nicht so völlig unter den Händen entschwunden wäre, wie es geschab. Man versteht die mir bis jetzt als Mattheit erchienene relativ geringe Teilname der Jurassier am Congress selbst als eine Zurückhaltung, mit der G. seinem Plan entsprechend vorsing. Für Marx, dem dièse Handlungsweise nicht unbekannt geblieben sein wird. bot sich wàhrend der ganzen Woche eine Môglichkeit, sich mit seinen loyalen Gegnern auf (îrund der Autonomie aller zu verstàmligen, vvodurch er die ganze Bewegung auf ein hôheres Niveau gestellt und auch sich von seinen eigentûmlichen Alliirten. den Blanquisten, und der Misère so vieler persônlicher Streitigkeiten halte befreien kônnen. Er bat diesen letzlen Reltungsweg nicht belreten, vielmehr mit KleinlichUeit und Rancune bis zulezt seinen autoritâren Standpunkt vortreten lassen, der ihm die ganze Internationale entzog. » — À la phrase de Nettlau : (« Fur Mhtx, dem dièse Handlungsweise nicht unbekannt geblieben sein wird... », je dois pourtant opposer cette remarque, que la lecture de la déclaration de la minorité, le samedi soir, fut pour Marx et les siens un coup de foudre inattendu.