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par la liberté relative dont on y jouit. Nous venons donc, de la façon la plus formelle, et assurés qu’après un nouvel examen de la question vous ne pourrez que partager notre opinion, vous demander de revenir sur votre décision, et de choisir pour siège du Congrès une ville quelconque de la Suisse.

Nous faisons appel à votre sentiment d’équité ; il ne peut pas être dans votre intention de fermer, d’une manière indirecte, les portes du Congrès aux délégués de certaines Fédérations ; vous ne voudrez pas que le Congrès général, où tant de graves questions doivent recevoir leur solution, voie son autorité morale affaiblie par ce fait ; et vous voudrez, au contraire, donner une preuve de la loyauté avec laquelle vous acceptez le débat, en faisant d’autant plus droit à notre réclamation qu’elle vient d’une Fédération qui se trouve en dissidence de vues avec vous sur plusieurs points.


Le secrétaire correspondant du Conseil général, Jung, nous répondit, le 28 juillet, que le Conseil maintenait sa décision ; que le Congrès ne pourrait se tenir en Suisse, « parce que c’est de là que sont parties les discussions, et qu’elles y ont leur siège » ; que « le Congrès subit toujours, plus ou moins, l’influence locale du lieu de sa réunion » ; que, par conséquent, « pour donner plus de poids aux décisions du Congrès et plus de sagesse à ses discussions », il avait fallu « choisir un endroit éloigné du lieu principal des discussions » ; et qu’enfin « la Suisse ne peut prétendre à avoir le monopole des Congrès ».

Le Bulletin, en enregistrant cette fin de non-recevoir, y opposa les considérations suivantes (no 14, 1er août) :


Le Conseil général dit avoir voulu soustraire le Congrès aux influences locales. Mais si ces influences devaient exister en Suisse, pense-t-on quelles n’existeront pas à la Haye ? Le citoyen Jung dit en propres termes que « le Congrès subit toujours, plus ou moins, l’influence locale du lieu de sa réunion ». Donc il subira celle du milieu, quel qu’il soit, dans lequel il se réunira. Et cette fois, quel sera ce milieu ? Précisément le plus fâcheux de tous, celui qu’il aurait fallu éviter avec le plus de soin, un milieu germanique[1].

Qu’on ne vienne pas, à ce sujet, répéter contre nous la ridicule accusation que nous prêchons la haine des races. C’est tout au contraire pour empêcher cette haine de races, qui ne manquerait pas de se produire dans l’Internationale si une race voulait essayer de dominer les autres, que nous croyons nécessaire de parler franchement de cette question.

De quoi est accusé le Conseil général de Londres, chez les Espagnols, chez les Italiens et chez les Français ? De tendances pangermaniques, ce qui signifie, en d’autres termes, de la tendance à vouloir imposer l’esprit allemand, l’autorité des théories allemandes, à toute l’Internationale[2]. Or, il y a des faits qui, malheureusement, donnent beaucoup de vraisemblance à cette accusation.

  1. On voit que nous connaissions bien mal la Hollande à ce moment, puisque nous l’appelions « un milieu germanique ». Nous ne nous attendions guère à voir les délégués de la Fédération hollandaise voter avec nous à la Haye contre le Conseil général.
  2. Qu’on se rappelle ce que Marx avait écrit en août 1870 au Comité de Brunswick-Wolfenbüttel sur « le rôle historique assigné à la classe ouvrière allemande », sur « la nouvelle époque de l’histoire » ouverte par les victoires des armées prussiennes ; et cette parole qui revendiquait pour le prolétariat allemand une hégémonie légitimée par les triomphes militaires : « Cette guerre a transféré le centre de gravité du mouvement ouvrier continental de France en Allemagne ».