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Rœderer : « Élisée Reclus est enfin à Zürich avec les siens. Il est assez bien portant, plein de courage, d’énergie et d’espérance. Ce long martyre d’un an l’a trempé au lieu de l’abattre. C’est le vrai démocrate, celui-là ; mais combien sont-ils qui lui ressemblent ! » De Zürich, Élisée alla s’établir à Lugano en avril ; une autre lettre de Mme André Léo, du 13 juin, écrite de Como, annonce que, le même jour, elle va voir à Lugano « le cher Élisée Reclus, que je n’ai pas revu depuis son martyre » ; le 31 juillet, elle dit à sa jeune correspondante : « Je reverrai certainement Élisée et lui ferai votre commission, ainsi qu’à Fanny. Ils sont perchés à mi-côte d’une des montagnes qui entourent Lugano, dans une vieille maison qu’ils ont presque pour rien, au milieu de paysages admirables. Notre ami, là comme auparavant, travaille, élève ses deux filles, espère et croit autant, et peut-être plus, que jamais. » Dès son arrivée à Lugano, Élisée était allé voir Bakounine à Locarno ; voici les indications qu’on trouve dans le calendrier-journal de 1872 : « Avril 11. Arrivée inopinée d’Élisée Reclus. — 13. Lettre envoyée à Reclus et par lui à Pezza et Stampa. — 18. À 6 h. matin avec Fanelli à Luino ; de là à Lugano, hôtel Washington ; toute la journée avec et chez Reclus. — Mai 2. Lettre à Élisée, qui m’a envoyé thé. — 17. Écrit et envoyé lettre chargée immense à Spichiger au Locle, contenant quatre lettres : une à James, une à Ozerof, et des lettres d’Alerini, d’Élisée Reclus à moi, et de B [illisible] à Reclus. — 18. Lettre à Reclus Élisée. — Juin 1er. Lettre d’Élsée. — 4. Écrit lettre à Élisée Reclus. »

Des deux frères, ce fut Élie que je vis le premier. Il était allé, de Zürich, dans l’été de 1872, faire un voyage à Genève, par Berne et Fribourg ; et, au retour, il passa par Neuchâtel et s’y arrêta pour me rendre visite. C’était un dimanche. Nous causâmes tout de suite comme de vieux amis ; les petites divergences de tactique qui avaient existé en 1869, lors du conflit de Mme André Léo avec l’Égalité (voir tome Ier, p. 150), étaient bien oubliées : la guerre et la Commune avaient passé par là-dessus.

Quant à Élisée, je ne puis me rappeler exactement la date de notre première rencontre, et dire si elle eut lieu dans l’été de 1872, ou seulement après le Congrès de la Haye. Tout ce que je sais, c’est que ce fut aussi au retour d’un voyage à Genève qu’Élisée s’arrêta à Neuchâtel, où il passa quelques heures à causer avec moi. Notre amitié s’affermit dans les années qui suivirent, lorsque, établi à Vevey (à partir de 1874), il fut devenu un membre actif de la Fédération jurassienne, et surtout quand nous nous retrouvâmes plus tard à Paris. Nous n’avons jamais cessé de nous entendre sur toutes les choses essentielles ; et après trente-trois ans, notre dernière conversation, le lundi 1er mai 1905, dans la chambrette où il était descendu (123, boulevard du Montparnasse) à son dernier voyage à Paris, deux mois avant sa mort, constatait notre accord et les espérances que faisait renaître, dans son cœur comme dans le mien, l’admirable mouvement du prolétariat français groupé dans la Confédération générale du travail. Le même soir il m’écrivait ce billet, le dernier que j’aie reçu de lui :


Mon ami et compagnon.

Un changement de vent me fait modifier mes plans et partir pour la Belgique. Je suis d’autant plus heureux d’avoir eu la chance de vous voir avant de quitter Paris aussi brusquement ; j’ai eu le grand plaisir de vous entendre exposer le plan de votre ouvrage, qui sera pour nous un événement de réelle importance.

Bien affectueusement.

Élisée Reclus.

Lundi soir.


J’ai déjà nommé Andrea Costa, qui, originaire d’Imola, en Romagne, et étudiant à l’université de Bologne, était venu à l’Internationale par le Fascio operaio. Au printemps de 1872, — c’était sans doute après le Congrès de Bologne (17 mars), — Costa fut ou se crut menacé d’arrestation, et se mit en sûreté en se réfugiant en Suisse. Il vint à Neuchâtel, où il