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ration madrilène prononça l’expulsion de son sein de six rédacteurs de la Emancipación, qui étaient en même temps membres du Conseil fédéral (F. Mora, José Mesa, Paulino Iglesias, Victor Pagès, Inocente Calleja, Hipolito Pauly)[1].

Pour rendre Morago — devenu la bête noire de Mesa et de Lafargue — ridicule ou suspect, le libelle de 1873 lui reproche de s’être laissé porter comme candidat aux Cortès[2]. Voici l’histoire de cette candidature. Une élection partielle devait avoir lieu à Barcelone ; c’était au moment où, aux Cortès, on commençait à discuter la question de l’Internationale. Le groupe de la Allianza de Barcelone pensa qu’il pourrait être utile d’envoyer aux Cortès un homme « qui y soutiendrait les idées de l’Internationale, qui démasquerait la classe bourgeoise, et qui, une fois la discussion terminée, se retirerait de ce foyer de pourriture » ; il écrivit en conséquence à Morago, « l’homme qui, par sa loyauté et son attitude, paraissait le plus capable », pour lui demander s’il consentirait à accepter la candidature ; Morago refusa, et l’affaire en resta là. Morago n’a donc jamais été candidat.

Cependant la Fédération espagnole avait à tenir son congrès annuel. Il se réunit du 4 au 11 avril à Saragosse ; une quarantaine de délégués y prirent part. La Fédération régionale comptait alors, comme le constata le rapport du Conseil fédéral, cinquante-cinq fédérations locales organisées ; en outre, dans quatre-vingt-quatorze localités, des fédérations étaient en voie d’organisation. Le Congrès entendit des rapports sur diverses questions telles que grèves, coopération, enseignement. Il discuta une proposition, faite par Morago, de réorganisation de la Fédération espagnole : cette proposition attribuait aux Sections une plus grande autonomie et enlevait au Conseil fédéral les pouvoirs que lui avait accordés la Conférence de Valencia ; mais la majorité décida que l’organisation votée à Valencia serait conservée. Il déclara adhérer aux résolutions du Congrès belge, ce qui fut interprété par Lafargue comme un succès pour lui ; nous vîmes là, au contraire, une preuve que la Fédération espagnole pensait comme nous, puisque nous aussi nous nous étions ralliés aux résolutions de la Fédération belge. Enfin, il adopta une résolution destinée à mettre un terme au conflit qui s’était produit à Madrid : elle portait que les rédacteurs de la Emancipación retireraient tout ce qui avait motivé leur expulsion, et que de son côté la Fédération madrilène retirerait toutes les choses blessantes qui avaient été dites contre eux et annulerait leur expulsion. Valencia fut désignée comme siège du Conseil fédéral, et, dans un esprit de conciliation, le Congrès plaça dans le nouveau Conseil deux membres de l’ancien, F. Mora et Anselmo Lorenzo ; mais Mora refusa sa nomination. Le Conseil fut composé, outre Lorenzo, de Peregrin Montoro, tisseur en soie ; Francisco Martinez, teinturier ; Francisco Tomás, maçon ; et Severino Albarracin, instituteur primaire ; on laissa à la Fédération locale de Valencia le soin de désigner les quatre autres membres, qui furent Rosell, tisseur en soie ; Torres, libraire ; Asensi, ébéniste ; et Martí, tailleur de pierres.

  1. Les membres du Conseil fédéral, qu’on ne l’oublie pas, étaient tous membres de la Alianza, et constituaient à eux seuls le groupe madrilène de cette organisation, Morago ayant cessé d’en faire partie. Mesa avait même essayé — inutilement du reste — de profiter de sa qualité d’aliancista pour obtenir que la Federación de Barcelone, dont deux rédacteurs appartenaient à la Alianza, se prononçât en faveur de la Emancipación. Cela n’a pas empêché Lafargue et Engels d’écrire, à propos de cette expulsion : « L’Alliance fit plus encore pour le parti républicain..., elle fit expulser de la Fédération de Madrid, où elle dominait, les rédacteurs de la Emancipación » (L’Alliance, etc., p. 33).
  2. « Et pour avoir aussi son Fanelli aux Cortès espagnoles, l’Alliance se proposa de porter la candidature de Morago. » (L’Alliance, etc., p. 34.)